L’amateur du futur (BoooOOOuuum d’infrabasse)

Il fut un temps où YouTube était un laboratoire de nouveaux auteurs et de nouvelles idées.
En temps Internet c’était il y a des milliers d’années mais en temps historique c’était il y a seulement sept ans puisque la « webserie » Visiteur du futur a vu son existence s’étaler de 2009 à 2015.
Depuis YouTube et Internet ont bien changé, mais manifestement les ambitions de l’auteur François Descraques n’ont guère été émoussées. Parce qu’en effet, il n’avait pas fallu attendre longtemps pour sentir comment – au fil des épisodes – le créateur de Frenchnerd entendait donner de l’ampleur à ce qui n’était pourtant au départ qu’une série de quelques pastilles comiques d’à peine quelques minutes.
En cela d’ailleurs, le simple fait de voir débarquer cette série sur les grands écrans est déjà en soi une belle trajectoire à saluer, tout comme elle est également une belle curiosité.


Belle curiosité, oui. Car l’air de rien, en des temps où le cinéma d’aspiration populaire tend de plus en plus à se contenter de reproduire les mêmes (et tristes) formules toutes faites – tristes formules souvent entretenues par des auteurs totalement déconnectés desdites masses (mais persuadés malgré tout de savoir mieux que personne ce qu’elles aiment et désirent) – il y avait face à pareil constat de quoi nourrir quelques espoirs en voyant ce Visiteur du futur chercher à un insuffler un vent de fraîcheur dans ce domaine si verrouillé.
Alors certes – et j’entends le préciser tout de suite histoire de clarifier d’emblée ma position – je n’ai jamais été vraiment fan de la websérie. Certes je la trouvais généreuse et animée de bons sentiments mais, pour ma part, j’avais du mal à y voir autre chose que des amateurs s’amusant à singer des codes sans parvenir à les dépasser.
Malgré tout, être sympathique et animé de bonnes intentions c’est loin d’être rien dans ce triste monde du cinéma de genre français, surtout qu’en sept ans de temps, François Descraques avait eu de quoi mûrir longuement son projet…


Or sympathique et généreux ce Visiteur du futur l’est bien tout autant que la websérie dont il est la continuité.
D’ailleurs en cela, je trouve que la scène d’introduction sait poser quelques bases prometteuses. On sent la volonté de poser un univers à l’identité visuelle marquée tout en s'efforçant en parallèle de renouer avec cet humour caractéristique de la série fait de contre-pieds permanents, d’absurde bon-enfant, et de farce gentiment puérile.
Alors certes, la présence du duo McFly et Carlito a de quoi surprendre et crisper d’emblée, mais ce serait oublier que ce dernier à naviguer dans le même giron que François Descraques à l'époque où ceux-ci officiaient respectivement au Golden Moustache et au Golden Show. De plus, la présence des deux trublions fonctionne d'autant mieux que ceux-ci se mettent clairement au service de la scène plutôt qu’au service de réf’.
Au fond, cette introduction semble nous indiquer la couleur : Visiteur du futur entend se poser comme l’héritier d’une certaine période d’internet ; une période créative dont le film entend exploiter toutes les forces, de l’insouciance à l’esprit bon-enfant, en laissant de côté toute la machine à « influencerie » et à toxicité que le réseau a pu devenir par la suite.
L’intention était louable. Mieux que ça elle était pertinente.
…Le problème c’est qu’en l’occurrence – et au regard de ce qu’était déjà Visiteur du futur à la base – cette intention n’était clairement pas suffisante.


Pas suffisante, ça non.
Et c’est triste à dire parce qu’en ce qui me concerne j’étais clairement disposé à voir le film que m’avait vendu l’introduction. Mais le problème c’est que – manifestement – en sept ans François Descraques n’a pas pris le temps de repenser son univers ni son écriture, et les carences scénaristiques se retrouvent très rapidement exposées au grand jour.
Car si c’est tout à l’honneur de l’auteur que d’avoir cherché à se tenir en équilibre entre farce burlesque, gentille satire et fable attendrissante, j’ai malheureusement trouvé que ce dernier n’avait clairement pas les épaules pour assurer un tel numéro de funambule.
Sitôt le film s’éloigne-t-il des saynètes à calembours qu’il se prend immédiatement les pieds dans le tapis d’une triste écriture adolescente. Les vilains politiciens qui pantouflent au profit d’un secteur du nucléaire responsable de l’apocalypse sur Terre ; la méchante grande organisation conservatrice contre les gentils nerds qui peuvent tout arranger grâce à la magie des révolutions sur clavier ; un monde qui peut être sauvé par l’amour d’un papa pour sa fifille ; les voyage dans le temps ; les paradoxes temporels ; la Tour Eiffel en lambeaux : tout y est. Rien ne manque. Et c’est vraiment fait sans génie.
Pire, c’est vraiment fait de manière amateure.


Alors pourtant, oui, on sent l’effort de François Descraques d’essayer de donner de l’allure à sa mise-en-scène, d’apporter de l’épaisseur à ses personnages ; de fournir de l’intensité à sa dramaturgie, et sur quelques malentendus il parvient parfois à générer quelque-chose.


(C’est par exemple le cas lorsque Alice se retrouve face à son elle du futur. La scène a beau être clichée, un brin ridicule et manquer d’épaisseur discursive, que malgré tout elle touche à quelque-chose sur son final, quand est abordée la question de la vulnérabilité d’Alice et son amour pour son père. Ç’en fut à un point que lorsque l’Alice du futur s’est levée, je me suis dit qu’il y aurait eu moyen de faire une vraie belle scène de ce moment-là, pour peu qu’on ait pris la peine de l’écrire autrement.)


Malheureusement, l’essentiel du temps, ces bonnes intentions se retrouvent réduites à une balourdise vraiment malaisante qui transforme toute tentative d’émotion en des moments particulièrement ridicules. Entre les enfants tristes et les musiques mélos ; les effets spéciaux sans cesse appuyés par des sons infrabasses et les contre-champs insistants sur des visages pétris de stupeur – et le tout sans oublier quelques combats qui ne sont souvent là que pour se risquer à quelques effets superfétatoires de mise-en-scène plutôt que pour se mettre au service de l’élan de l’intrigue – Descraques ne fait que se singer lui-même en train de singer les classiques de son enfance.


Alors après OK, c’est vrai que ça se veut gentil, bien intentionné et qu’on multiplie les clins d’œil à la série comme aux copains d’Internet. Et puis on pourrait aussi ajouter à ça le fait que cet aspect très adolescent de l’intrigue relève au fond d’une culture très shonen qui, à défaut d’être profonde, a au moins le mérite d’être enlevée… Pourquoi pas…
…Sauf que le souci c’est qu’on n’a pas affaire à un shonen ici justement.
Un petit One Piece ou Naruto, c’est le genre de truc qu’on peut se mater sur un PC une aprèm quand on a envie de glander plutôt que de bosser. C’est fait à l’arrache et à la chaine. C’est pensé pour être consommé au kilomètre et avec une certaine indulgence… Au fond c’est un genre de format qui est assez proche de celui de la websérie comme a pu l’être jadis Visiteur du futur.


Seulement voilà, au cinéma, les enjeux ne sont clairement pas les mêmes.
On a fait l’effort de se déplacer et de payer. On est réuni à plusieurs dans une même salle pour ce moment-là. Les lumières vont être éteintes. Les portables vont être coupés. C’est à un instant de cinéma auquel on est venu assister, pas à un épisode de websérie.
Alors forcément, voir sur grand écran un film qui nous ressort des poncifs éculés, qui se délite de plus en plus en termes d’écriture, au point d’arriver à un niveau de « jm’en balek » scénaristique assez ahurissant, forcément ça fait tache.


(…Et pour celles et ceux qui trouveraient que j’y vais un peu fort dans ma condamnation du scénario je me permettrais de rappeler comme se finit cette intrigue :
« Eh Belette ! T’es vivante finalement ?!
– Bah ouais Renard ! C’était comme si le nuage nucléaire ne m’avait pas butée comme on a pu le voir à l’écran cinq minutes plus tôt !
– Ha ! Ha ! Bah super alors ! …Mais sauf que ça n’a aucun sens ton truc, là.
– Bah si ! L’autre nounouille de politicard n’a pas signé son contrat donc il n’y a pas eu de centrale nucléaire et donc pas l’accident ! …Et du coup pas de nuage.
– Bah ouais mais si dans ce cas-là il n’y a pas eu de centrale ni d’accident, tu ne devrais même pas connaitre l’existence de ce foutu nuage ! En fait tout l’arc narratif où tu te protèges du nuage au Térié ne devrait même pas avoir existé dans ton esprit !
– Mais bien sûr que si ! C’est toi-même qui le disais un peu avant cette conclusion : quand on participe activement à l’action d’un changement temporel, ton esprit s’en souvient !
– Oui mais sauf que tu n’y as pas participé activement à ce changement temporel justement…
– Bah si…
– Bah non. T’as juste glandé là.
– Ouais bon bah c’est tout ! Magie ! Paradoxe temporel ! Pif paf pouf on retombe sur nos pieds ! Maintenant tout va bien ! C’est tout ce qui compte ! Non ?
– Bah non justement ! Tout ne va pas bien ! La Tour Eiffel est encore toute pétée ! Et puis y’a encore des zombies plein les rues ! Or tout ça c’était aussi la faute au nuage ! C’est pas moi qui l’invente c’est Castafolte qui l’a dit en début de film ! Donc pourquoi l’annulation de la centrale n’a pas entrainé l’annulation de l’apocalypse ?! Pourquoi on est encore là à vivre comme des crevards ?!
– Bah c’est surement comme pour avec Alice là ! Si elle disparaissait elle ne pourrait pas se buter dans le passé donc elle existe en tant qu’aberration. Paradoxe temporel quoi !
– Mais dans ce cas pourquoi le père d’Alice n’existe-t-il pas lui aussi en tant qu’aberration ? Pourquoi il a tout oublié et se met à vivre une vie parallèle comme si de rien n’était ?! Ça n’a aucun sens !
– Mais si ! C’est juste parce qu’il n’a pas participé de manière active au changement temporel ! C’est pour ça ! Suis un peu !
– Mais bien sûr que si il a participé activement au changement temporel ! C’est même peut-être le seul qui a été actif là-dedans ! C’est quand-même lui qui ne signe pas ce foutu contrat ! Quelqu’un peut m’expliquer ?!
– (Générique de fin) It’s the end of the woooooorld as weeee know it… )



Malgré tout, je peux comprendre qu’on puisse se satisfaire de ce Visiteur du futur.
Comme j’ai déjà pu le dire plus haut, savoir être « sympa » dans le cinéma d’aujourd’hui, ce n’est quand même pas rien.
Mais bon, d’un autre côté on gagnerait peut-être aussi à être davantage exigeant.
L’air de rien, avec ce Visiteur du futur écrit et mis-en-scène sans génie, on a perdu là une belle opportunité de voir débarquer au sein de la scène hexagonale une nouvelle génération d’auteurs ; génération qui aurait pu dynamiter l’encroutement actuel et ainsi apporter un souffle nouveau au cinéma de genre français.
François Descraques a joué sa carte, mais malheureusement il l’a jouée avec une certaine suffisance.
La suffisance, cette attitude que le cinéma français a su ériger en art.
Comme quoi, peut-être que finalement on n'a que le cinéma qu’on mérite…

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le 11 sept. 2022

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