Le Vrai du faux
6.4
Le Vrai du faux

Documentaire de Armel Hostiou (2023)

Armel Hostiou. Comment oublier ce nom, après avoir visionné Le Vrai du faux, documentaire dans lequel le réalisateur, né le 9 novembre 1976, à Rennes, et jusqu’alors assez discret, accède au statut de héros ? A l’origine de longs-métrages de fiction (Rives, 2012, Une Histoire américaine, 2015) et de clips, avec un détour par le documentaire en 2019 (La Pyramide invisible), Armel Hostiou, « le vrai », comme il le précise non sans humour, découvre un jour que son compte Facebook a été piraté et qu’un double de lui-même a été créé, présentant bien plus de photos de lui que son propre compte ! Liées à ce faux compte, un monceau d’ « amies », résidant toutes à Kinshasa et conviées par différents posts à de prétendus castings se déroulant dans cette ville. Se heurtant au refus opposé par Facebook de clôturer le compte usurpateur, le réalisateur voit dans cette mésaventure l’occasion inattendue d’un documentaire et, les formalités accomplies, s’envole vers la République Démocratique du Congo, à la recherche de ce double fantômatique mais semblant plus réel, dans le monde virtuel, que son modèle même… Quand on sait que, en RDC, le terme « Mundélé », utilisé pour désigner un homme occidental, vient du nom français « modèle »…

Ne pouvant se contenter de rester derrière la caméra, puisque cette réduplication de lui-même et l’enquête dans laquelle elle le propulse contraint l’original à sortir de l’ombre, Armel Hostiou cède souvent la caméra à un complice, rencontré dans la résidence qui l’accueille, Elie Mbansing. Le récit de son histoire ayant provoqué amusement et empathie tout à la fois, le Breton égaré en plein continent africain se verra soutenu dans sa quête de l’usurpateur par les responsables de la résidence, Sarah Ndele et Peter Shotsha Olela.

Les situations, les dialogues, sont savoureux et infiniment réjouissants, tant est grand l’écart entre les deux mondes culturels. Beaucoup d’humour, de nonchalance, de gentillesse, mais peut-être aussi de finauderie, côté africain ; et le sentiment d’être face à un marin sans boussole, en plein Océan, côté breton… Un interlocuteur sera rencontré, Cromix Onana Genda Cristo… Mais qui est-il exactement ? On songe à la partie africaine du scénario de Seules les bêtes (2019), de Dominik Moll, concernant le rôle d’internet et tous les masques que ce réseau mondial autorise de facto.

La compréhension du titre en vient à tanguer sérieusement. Initialement entendu comme un segment de l’expression « distinguer le vrai du faux », d’autant que cette pulsion de discernement présidait au voyage lui-même et à toute cette aventure cinématographique, le groupe nominal prend une existence autonome et se creuse. Il sera question d’atteindre la part de vrai, dans le faux… Ou peut-être la part de faux, dans ce qu’on avait cru vrai… On ne sait plus, et c’est ce vertige même qui devient jubilatoire. Le spectateur a l’impression d’avoir rejoint, « pour de vrai », la scène des glaces dans La Dame de Shanghai (1947), d’Orson Welles. Et l’image d’Armel Hostiou, parti pour retrouver son double, finit rédupliquée autant de fois que sur une sérigraphie d’Andy Wharol…

Au-delà du comique généré et du jeu truculent des différents protagonistes, une très jolie réflexion, plus questionnante qu’assertive, sur le moi, l’identité, l’image…

AnneSchneider
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le 16 mai 2023

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Anne Schneider

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