Mais que se passe-t-il en ce début d'année pour que moi, qui d’habitude n'apprécie pas Tarantino, tombe complètement sous le charme de ce Hateful Eight ?
Est-ce que ça vient de Tarantino ou de moi ?
Je ne sais pas vraiment, mais le fait est que ce film est excellent.


Pourtant, tout ce qui est tarantinesque est réuni ici, depuis le système de références cinématographiques jusqu'aux hectolitres d'hémoglobines déversés dans la seconde partie du film, en passant par les dialogues omniprésents et très écrits.
Mais c'est d'abord une affaire de proportions et de composition. Ainsi, les dialogues sont certes très nombreux, mais jamais je n'ai eu l'impression d'une inutilité ou d'une simple fonction de "remplissage cool" comme dans Pulp Fiction ou Jackie Brown. Ici, chaque réplique est importante, chaque mot contribue à l'action, à l'ambiance, au propos du film. Loin de se dilater comme ce fut le cas précédemment, les dialogues se resserrent autour de l'histoire.
Et puis, il faut bien dire que ces dialogues sont, dans l'ensemble, vachement bien écrits et superbement interprétés. S'il ne fallait retenir qu'un exemple, pourquoi pas celui-ci :
"Maintenant, Daisy, je veux que nous mettions au point un système de communication : quand je te mets un grand coup de coude dans la tronche, ça veut dire Ferme-la !"
Et si les dialogues ont autant d'importance, c'est parce que ce film est un immense poker menteur, un jeu de faux-semblants ou il faut impérativement se méfier des apparences. Les mensonges s'enchaînent et se démasquent, le tout instaurant une ambiance qui, sur bien des aspects, se rapproche de celle d'un film noir : méfiance réciproque, violence sous-jacente qui ne demande qu'à éclater, conflits plus ou moins bien étouffés...


The hateful Eight dresse le portrait d'une Amérique pas encore remise de la Guerre de Sécession. Le Nord et Sud sont toujours violemment divisés et cela contribue beaucoup à l'ambiance lourde et tendue. Un général sudiste confronté à un Noir major du Nord, et des propos qui confirment que le pays est loin d'être débarrassé des discriminations diverses et variées ("Quand les nègres ont peur, c'est à ce moment-là que les Blancs sont tranquilles").
Cet état socio-politique est tellement tendu que Mobray (Tim Roth) en vient à vouloir diviser la mercerie en deux camps, un Nordiste et un Sudiste (avec la table à manger comme lieu neutre de rencontre). Et c'est ainsi que cette pièce où se déroule une immense partie du film devient une métaphore de l'Amérique dans son ensemble, un décor symbolique représentant un pays plongé dans la violence et la méfiance réciproque.
Car au-delà de la seule Amérique du sortir de la Guerre Civile, on peut affirmer que le film représente l'Amérique dans son ensemble, un pays livré à la loi du plus fort, où la violence et la sauvagerie règnent en maîtres. Une sauvagerie représentée par les forces de la nature qui se déchaînent, ce blizzard qui emprisonne les personnages et qui soulève les passion, rendant possible le bain de sang. Et cette sauvagerie se lit aussi sur les traits d'une Jennifer Jason Leigh dont le visage baigné de sang paraît être celui d'un démon ou d'une sorcière maléfique, donnant au film un aspect de tragédie shakespearienne. Enfin, l'absence de "civilisation", absence de ville ou même de village au milieu des montagnes enneigées du Wyoming contribue, là aussi, à cette aspect sauvage qui inonde le film.


Si ce film est peut-être le plus réussi de Tarantino, c'est parce qu'il tient enfin les promesses du cinéaste. Le scénario est remarquable. La construction en trois parties nettement séparées donne un rythme soutenu qui permet de ne pas s'ennuyer une seule seconde.
Et c'est là qu'il faut, bien évidemment, parler du côté visuel. Ce film est juste splendide. Tarantino bichonne son 70mm, il le chouchoute, il le respecte. Le résultat est somptueux, que ce soit dans les plans d'ensemble sur le paysage des montagnes enneigées ou dans les scènes d'intérieur, avec des plans très structurés et parfaitement cadrés. Pas de délire visuel, aucune esbroufe ici, tout se tient, tout est cohérent.
S'il fallait retenir deux rôles du film... eh bien je ne le pourrais pas. Tous les acteurs sont géniaux, et les vieux comme moi retrouvent même Lee Horsley (Matt Houston dans une série des années 80) ! A noter qu'il faut impérativement voir le film en VO, car il y a tout un jeu sur les accent, le pompon revenant à Tim Roth.
L'humour est là, lui aussi, mais en demi-teinte, moins tapageur que d'habitude. Et si on ajoute une réflexion désabusée sur la violence et la justice et une déconstruction des mythes fondateurs de l'Amérique (rapprochant ce film de La Porte du Paradis, toute proportion gardée tout de même ; mais cette histoire de lettre de Lincoln est vraiment géniale : c'est le mythe plus beau que la réalité, plus rassurant, si efficace qu'on va préférer cette légende plutôt que les faits historiques), on obtient un film plus mature, plus sobre (malgré les hectolitres de sang), plus efficace, plus beau.
Le plus beau Tarantino.

SanFelice
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le 5 janv. 2016

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SanFelice

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