Nous sommes toujours le salopard d'un autre

Un film de Quentin Tarantino est toujours un événement. Après son excellent Django Unchained, l'attente était immense. Son casting est impressionnant, tout comme la présence du compositeur Ennio Morricone. On ne va pas être déçu par ce western bavard, sanglant et à l'humour aussi noir que la mort.


C'est une pièce de théâtre, où l'histoire se découpe en cinq chapitres. Durant 2h47, (voir plus si vous avez la chance de voir le film en 70mm) Quentin Tarantino va s'amuser avec ses acteurs, mais aussi les spectateurs. Comme à son habitude, il va piller dans les séries des années 60/70, pour trouver l'inspiration. Mais aussi dans ses propres films, qui sont déjà eux-mêmes des hommages aux films qui ont bercé sa jeunesse. On a parfois, comme une impression de déjà-vu. Cela n'est pas désagréable, c'est le style Tarantino.


Quentin Tarantino, c'est le Prince du cinéma. On a souvent accusé Prince de se servir dans le répertoire de ses illustres prédécesseurs, avant de l'adouber est d'en faire une icone de la musique pop. Ce fût un peu pareil avec Quentin Tarantino, même si son génie a été très vite applaudi, avec la palme d'or pour Pulp Fiction à Cannes en 1994. Ils sont su se réapproprier l'héritage culturel de leurs aînés, pour nous offrir des chefs d'oeuvre, où presque.
Il est encore trop tôt pour savoir quelle place aura son huitième film dans sa filmographie. A sa sortie, Pulp Fiction n'avait pas fait l’unanimité, certains spectateurs quittant même la salle en pleine séance. On a pu constater la même chose durant Les 8 salopards. Il faut dire que le cinéma de Quentin Tarantino, demande souvent de la patience. Il aime les acteurs et le prouve encore une fois, en leur offrant de longs dialogues et monologues. Il faut dire qu'il excelle dans la direction d'acteurs et permet à chacun de briller, où de revenir sous les feux des projecteurs.
Après John Travolta, David Carradine où encore Pam Grier. C'est au tour de Kurt Russell de retrouver le haut de l'affiche. Il tenait déjà le premier rôle dans Boulevard de la mort de Quentin Tarantino, mais ce fût un échec commercial. Il prend ici sa revanche et contribue au sentiment de se retrouver dans la version western de The Thing de John Carpenter, dont il était aussi l'acteur principal. C'est un des plaisirs que procure le cinéma de Tarantino, avec ses références cinématographiques, tout en oubliant pas de nous raconter une histoire.


La curiosité du début, avec la joute verbale entre Kurt Russell et Samuel L. Jackson, annonce des lendemains sanglants. Il faut dire que Jennifer Jason Leigh a déjà un œil au beurre noir et que sa mâchoire va souvent être mise à rude épreuve. Elle aime les rôles physiques et celui-ci va faire parti de ses plus grandes prestations. L'arrivée de Walton Goggins est tout aussi remarquable. Au fil du récit, il va faire preuve de tout son talent, déjà aperçu dans The Shield, JustifiedSon of Anarchy. Il avait déjà mis un pied dans l'univers de Quentin Tarantino, avec une apparition dans Django Unchained. Mais là, il passe au niveau supérieur, au point de se demander s'il n'est pas le meilleur de tout ces salopards, lors du clap de fin.
En arrivant à la mercerie, on se retrouve dans un huis-clos. Cela renforce le côté théâtral de l'ensemble. Le blizzard empêche tout le monde de sortir et on découvre quatre nouveaux personnages : Tim Roth, Michael Madsen, Bruce Dern et Demian Bichir. Seul le dernier n'a jamais tourné dans un film de Tarantino. Après The Thing, on pense à d'autres films, où plutôt romans, comme ceux d'Agatha Christie : Dix petits nègres et Le crime de l'orient-express. C'est son côté enquête, qui lui confère cet aspect-là, même si parfois, on a l'impression d'être dans un immense Cluedo où l'on attend que le colonel Moutarde trépasse. C'est aussi à ce moment-là que le film perd partiellement de son intérêt. Chacun récite son texte, avec sa petite anecdote, sans que cela soit très passionnant. Ça tourne un peu en rond. On se regarde en chien de faïence, avant que tout bascule, (un peu comme dans Pulp Fiction) et qu'on en prenne plein la gueule, au sens jouissif du terme.


Au-delà du spectacle. En réunissant cette bande de salopards en un seul lieu, Quentin Tarantino parle des différents visages de l'Amérique. Ce pays a été construit sur le cadavre des indiens. Ce génocide a fait de cette terre, un immense cimetière où le sang continue de couler de nos jours. La violence est un de ses traits de caractère, tout comme le racisme. Samuel L. Jackson est souvent réduit à sa condition de n**** par tout les personnages. Bruce Dern en colonel sudiste, n'a que du mépris pour lui. Mais, il a au moins le mérite, de ne pas le cacher, contrairement aux autres. Demian Bichir va aussi subir ce racisme latent, qui sévit toujours dans ce pays, mais aussi ailleurs. Le mensonge fait aussi parti de son ADN. Ils sont nombreux et on souvent contribué à la mort d'innocents, à travers des guerres, dont la seule motivation est économique, ce qui nous amène à l'argent. C'est le principal moteur de ce pays capitaliste. Le pouvoir du billet vert est immense et ne connait pas de limite. Il corrompt les esprits et permet de tout s'offrir, où presque. Enfin, un criminel peut devenir shérif....
Du sang, racisme, mensonges et des dollars. Cela résume aussi le cinéma de Quentin Tarantino, qui n'est que le reflet de son pays. Il ne fait pas de leçons de morale, c'est juste un constat. Bien sur, il ne peut condenser en un seul lieu et film, tout les travers de son Amérique. Comme nous, il a grandi avec la télévision. Le journal télévisé nous a abreuvé d'images sanguinolentes et dérangeantes, jour après jour. Les séries et films, nous ont aussi gavés de plans violents. Il ne fait que reproduire ce qui a bercé sa jeunesse. C'est une victime de la société et il se venge à travers ses films, en martyrisant ses acteurs et surtout Jennifer Jason Leigh. Puis, il vaut mieux avoir un psychopathe derrière la caméra, que dans nos rues, non ?


Le trio Samuel L. Jackson, Jennifer Jason Leigh et Walton Goggins est magnifique. La musique d'Ennio Morricone est envoûtante.Quentin Tarantino prend le meilleur de ses précédents films, pour nous offrir un film théâtral, aussi surprenant que jubilatoire. Vivement sa prochaine oeuvre.

easy2fly
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le 12 janv. 2016

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Laurent Doe

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