The 8th film written and directed by Quentin Tarantino.

J'en suis ressorti très énervé mais j'ai vite compris qu'il fallait s'en foutre
Parce que Tarantino s'en fout aussi. Il n'y a que lui qui l’intéresse, lui et son inscription en vilaines lettres jaunes au début de son film "The 8th film written and directed by QUENTIN TARANTINO". Comme un logo d'entreprise qu'on colle sur une affiche. Qu'on placarde sans doute. Venez vous marrer avec Quentin. Même si d'humour, ici, il n'en sera jamais question
Le bouffeur de Big Mac a sans doute été un grand cinéaste subversif avant ce film. Ça ne remonte pas à très longtemps, Django Unchained et sa violence perverse diffusée dans le temps, mais aussi Kill Bill et Jackie Brown, avec ses histoires d'amour contrarié où on doit tuer son mari pour réapprendre à l'aimer ou voler un gros pactole pour retrouver le plaisir juvénile d'être séduite. Il y a aussi eu le cinéaste qui savait écrire, qui avait des choses à dire sur la morale, qui, même - c'est le don dangereux des subversifs - l'interrogeait, cette morale, en la redéfinissant. Bill qui prépare un sandwich à sa fille et qui se lèche ses doigts d'assassin en racontant la mort d'Emilio le poisson rouge. Subversif par le décalage, et surtout, par l'humour un peu jaune qui en découle. Un peu gêné de rire. Dans The Hateful Eight, il n'y a plus aucune gêne, les gens rient quand Jennifer Jason Leigh se prend un ragoût dans la gueule, parce que rien n'est questionné, parce qu'on est venu pour ça, parce que c'est the 8th film written and directed by Quentin Tarantino.
Je n'entrerai donc pas dans le débat de savoir si nous sommes devant un film moral ou immoral, parce que Quentin lui-même ne s'est pas posé la question.
Le film semble être écrit par un gamin de 12 ans, qui entre deux branlettes sur ses posters de Charlize Theron, joue au grand cinéaste un peu trop fan de Tarantino, plus grand cinéaste du monde bien entendu. J'ai été sidéré par le vide abyssal du film, sa propension à gonfler chaque scène d'une autosatisfaction puant l'arrogance et le cynisme, puant la posture à des kilomètres.
Tarantino a pété les plombs, il n'a plus la maîtrise de rien car la maîtrise l'étouffe, le découpage est raté, le rythme est inexistant. Le film n'a strictement rien à dire sur rien et croit avoir tout à dire sur tout. Tarantino est un petit gamin qui se croit génial, et qui se croit génial pendant trois heures, n'ayant plus honte de citer l'intégralité de sa filmographie dans une embrassade équivoque avec son spectateur-fan, forcément ravi. L'effet que ça m'a donné, c'était de réentendre la dernière réplique dégueulasse d'Inglorious Basterds en continu pendant trois heures. "Cette fois-ci, je crois que c'est mon chef-d'oeuvre". C'est à peine supportable. Revoir d'urgence ces films simples et beaux des années 90, engagés dans ce qu'ils racontent, authentiques et vrais - maniéristes, mais pas prisonniers sous leur maîtrise asphyxiante et morbide. Quand on ressort, ce qu'on demande, c'est de l'air. De l'air, vite, de l'air !
La paresse de l'ensemble est sidérante. Conscient de la subversivité dont il est capable, il enchaîne les faux morceaux de bravoure, les gros plans dégueulasses sur la moustache de Kurt Russel, le fils du général à poil suçant son noir de bourreau dans la neige, et le rire dégueulasse de Jennifer Jason Leigh. C'est pas un film, c'est le Muppet Show.
Tarantino croit refaire The Thing, il ne filme qu'une partie de Cluedo géante, avec des dialogues nuls, creux, vains et sans humour.
Incapable d'installer toute tension, toute atmosphère, toute émotion, le film accouche d'une souris - rançon de son infinie bêtise.
Le problème est simple : pour la première fois, Tarantino ne parle pas d'êtres humains, de cette chose étrange et désirable, portant le sentiment de la vengeance, du besoin vital de la catharsis. Il ne parle que de lui, non : que de ce qu'il représente, Quentin Tarantino, meilleur cinéaste du monde, qui s'écoute écrire et se regarde filmer, pensant n'avoir plus rien à prouver, pensant pouvoir exister en tant qu'artiste en ne se posant plus aucune question. Même dans le mauvais Inglorious Basterds, il y avait quelques instants où l'on parlait du Mal, de l'absolu ridicule du mal, du travail sadique de notre inconscient à son encontre - on trouait le corps d'Hitler de balles et Tarantino sondait alors (sans posture supérieure, telle était sa subversion) l'excitation ambiguë que cette vision de cinéma pouvait nous faire parcourir. Ici, il n'y a rien. Samuel L. Jackson se fait exploser les couilles, Kurt Russel se fait découper la main et on s'en fout. Tout est bête, bêtement méchant, bêtement burlesque (les crachats de sang qui plient la salle en deux comme dans un réflexe, mon dieu...)
Il reste quelques plans, sortant de la mécanique : le tout début, peut-être la toute fin, un beau champs-contrechamps où le frère et la sœur se retrouvent et se sourient dans le sang. Un court instant où un frisson de complexité rentre dans le cadre, où Tarantino remet en question la relation humaine dans le prisme de sa possible perversité.
Mais tout le reste est horrible. Quand on entend la voix du cinéaste (celle du narrateur, forcément...), sa voix de démiurge bouffi qui s'adresse à nous entre deux menus Best of et qui nous explique, le ton rieur et connivent, l'enjeu d'une scène qu'on a déjà compris depuis dix minutes, c'est l'énervement total qui prend place. Et pourtant, dès le début, je savais qu'il y avait quelque chose qui clochait. Dans les premières minutes du film, Kurt Russell fout un coup de poing à Jennifer Jason Leigh, elle crie, saigne et lèche son sang sensuellement. Une chanson des White Sripes s'élève, et s'ensuit un vilain ralenti sur les chevaux qui avancent dans la neige.
Rien d'autre, juste une image idiote, sans frisson, sans vertige, le sourire de l'actrice qui lèche son faux sang sur la fausse crasse de son visage, et ce vilain ralenti musical dans la neige blanchâtre.
C'est dégueulasse.

B-Lyndon
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le 17 janv. 2016

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