Dans un voyage évoquant la mythologie grecque avec Caron, le passeur des âmes, qui traverse le Styx, Valentin et Smith vont vivre un séjour hors du temps, de l’espace et de la croyance. Cet hôtel est plus une cage dorée qu’un havre de paix. Avec une mise en scène élégante qui cadre d’une froideur mélancolique l’immensité du lieu, on ressent une triste solitude qui scrute les couloirs blafards, ces grandes suites impersonnelles ou la grande cour dont les jardins n’apportent pas de gaité, juste le sentiment de se perdre dans la nature. Il n’y pas de véritable couleur qui se dégage de la photographie, seulement une lumière blanche, limpide qui tente de percer le grisâtre de l’atmosphère, comme si la mort avait vidé toute substance de vie, de chair et de conscience.
Ce scepticisme est renforcé par le fonctionnement même du lieu. Votre séjour dépend donc de votre célébrité sur terre. Un concept autant cruel que pertinent qui alimente la réflexion. Scientifiques et artistes vont donc côtoyer les assassins. La scène où Valentin se voit chasser par un responsable nazi est d’un cynisme absolu. Où est le mérite ? La morale ? La qualité de vie ? Le sens de l’existence ? Tout cela est balayé par l’arrivisme, l’égoïsme, l’égocentrisme ou le mépris de l’autre. Que dire de notre époque actuelle où un individu peut générer sur les réseaux sociaux de nombreuses vues juste par des actes sans intérêt mais qui génèrent le spectacle ? Ou par de simples photos ? Autant de questions qui alimentent les enjeux du récit et notamment le duo Valentin/Smith. Le rapport meurtrier/victime va se complexifier, ils vont apprendre à se connaître et chacun va découvrir les facettes de l’autre.
Jean-Paul Sartre a écrit : L’enfer, c’est les autres. Effectivement, le poids du regard, de l’opinion de ceux qui nous entourent ont un impact sur notre personne qu’on le veuille ou non, directement ou indirectement. Les nombreuses personnalités qui habitent l’hôtel semblent n’être qu’un pâle reflet de leur passé terrestre (témoins passifs, silencieux, isolés ou au contraire alimentant avec animosité la compétition). Seulement, la trajectoire intime et psychologique de Smith va le mener à une réelle remise en question : et si finalement, c’était son propre regard sur les autres qui faussait son existence ? Les émotions ressenties comme l’amour ou la tristesse ne semblent pas aboutir dans un lieu dans lequel rien n’est honnête ou authentique. Pourtant, sa rencontre avec Bianca, chanteuse à la mémoire effacée, va apporter de l’espoir à son blocage.
Aller au-delà de l’apparence, de l’image, du jugement hasardeux est la clef de la rédemption. Le chassé-croisé des personnages amène Smith à ne plus envier ce qu’il n’a pas mais à partager le peu qu’il a. Quant à Valentin, vieil acteur blasé, arrogant mais lucide sur le fonctionnement de la célébrité, il semble avoir oublié la passion même de son art pour se consumer dans l’éphémère. C’est le pardon qui finira par les faire évoluer et non la quête d’une vérité qui n’existe pas. Contrairement aux autres aveuglés, ils vont accepter de tout perdre pour mieux se retrouver. Le rituel de l’hôtel qui vise à revaloriser la célébrité des personnalités est un mélange de cérémonie type oscar et de loterie. Une idée forte et intelligente qui rappelle à quel point l’Homme oublie le cheminement au profit du bénéfice, du résultat ou de l’effet espéré.
« Les ailes de la renommée » n’est pas un film pessimiste malgré la désillusion tragique de l’au-delà. Il met en avant le souci de parfois se sacrifier, d’abandonner une partie de soi pour ainsi redécouvrir le monde. C’est le portrait émouvant dénué de manichéisme de deux individus, montrant ainsi que les être humains font partie d’un tout qui doivent les ramener à la modestie. Visuellement poétique, d’un ton triste mêlé d’humour et de tendresse, d’une écriture fine évitant les lourdeurs et d’une vision de la vie émouvante et loin d’être laxiste, le film est un bijou qui dénonce une Humanité perdue mais qui ne saurait noyer l’individu qui gardera un regard toujours bienveillant.