[Critique à lire après avoir vu le film]
Généalogies d'un crime et Les mystères de Lisbonne, vus récemment, m'ont fait prendre conscience que j'étais jusque-là passé à côté d'un très grand réalisateur. Je m'empresse donc de chercher un autre de ses films dans les rayons de ma médiathèque et trouve Les âmes fortes... avec Laetitia Casta et Arielle Dombasle, ah bon ? Et encore, je ne connaissais pas Frédéric Diefenthal dont j'ai ensuite vu qu'il s'était illustré dans la sublime série des Taxi... Mais Arielle Dombasle a joué pour Rohmer, et Godard a montré qu'on pouvait faire du cinéma d’auteur avec Johnny, alors... Je fais confiance au talent du maître.
Je n'ai pas lu le roman de Giono mais l'argument semblait intéressant : une jeune femme qui a le pouvoir de dominer tous ceux qu'elle croise se voit confrontée à l'une de ses congénères. Je m'attendais à un duel d'âmes fortes, façon Liaisons dangereuses.
Rien de tout cela. En premier lieu ce pouvoir magique est tout sauf évident. Si Thérèse tient tête en effet à son fiancé Firmin, elle se fait tout de même frapper par ce grand nerveux et entraîner dans ses sombres magouilles. On devine que c'est elle qui manigance tout pour le faire tuer par l'un de ses admirateurs, on la voit également manipulatrice lorsqu'elle s'allonge enceinte contre un mur pour attirer l'attention de la riche Mme Numance ou lorsqu'elle feint le désespoir sur la dépouille du mari qu'elle vient de faire exécuter. De là à en faire une femme puissante, pour employer une expression tendance, il y a un fossé que le film ne comble pas.
En second lieu les deux femmes, loin de se combattre, vont se découvrir âmes soeurs. Pourquoi pas, c'est sans doute moins rebattu, mais c’est aussi moins relevé dramatiquement. Or le film souffre nettement d'un manque de mordant, dû lui-même à un défaut de lisibilité. On comprend mal par exemple l'histoire du deuxième enfant alors que le couple se déchire, ou bien la coucherie de Thérèse avec le patron de la mine, elle qu'on n'a jamais vu user de ces expédients le reste du film. Ce n'est pas tout : pourquoi le très serein Numance meurt-il brutalement ? Quel est l'intérêt de raconter l'histoire en flash back, même si les scènes avec les vieilles sont très esthétiques ? Pour ne rien arranger, bien des dialogues sont inaudibles, soit par défaut de diction des acteurs (Diefenthal), soit parce qu'ils sont prononcés par un Britannique (John Malkovich, au sourire à la Trintignant par ailleurs toujours aussi désarmant).
Le résultat est qu'on cherche en vain pendant près de deux heures où le réalisateur veut en venir. Quel contraste avec les deux très riches films cités ci-dessus, tous deux affectés d'un 9 ! Est-ce bien le même réalisateur ?
Oui, car du point de vue formel c'est éblouissant. Ces panoramiques toujours à la bonne distance, tournant autour des personnages ainsi qu’on le fait autour d'une sculpture au musée, ou franchissant des cloisons, ou encore captant la scène de l'extérieur d'une maison, comme lorsque la caméra suit Thérèse d'une première puis d’une seconde fenêtre avant de s’arrêter face à la porte où la jeune femme apparaît. Ces angles de vue singuliers, en surplomb ou de côté. Ces cadrages favorisant la profondeur de champ en installant au premier plan un obstacle, arbre, barrière ou grille d'un garde-manger... J'ai pensé au cinéma de Max Ophüls, référence pour ce genre de choses. Le plaisir par exemple, présente un peu les mêmes qualités et travers que ces Ames fortes.
Le cinéphile, celui qui s'intéresse à "comment c'est fait", est donc à la fête mais faute d'un propos suffisamment convaincant cet art de la mise en scène apparaît finalement assez gratuit. La forme doit être au service du fond : possible que ce soit le cas ici mais comment en juger devant un propos si inconsistant ? Etrange constat : j'ai le souvenir d'une grande richesse formelle mais suis bien en peine de la détailler dans ma critique comme j'ai coutume de le faire. J'évoquerai le combat de Firmin et de son agresseur par grands vents sur une colline, une conversation entre les deux âmes soeurs sur un banc baigné de soleil, le bruit des boules de billards qui résonnent lorsque Numance meurt... Peu de choses au regard de ce qui se déploie à l'écran. Ruiz prétendait que ses films étaient accessibles à tous... à condition de les voir deux fois ! Ce que j’avais fait pour Généalogies d'un crime, avec bonheur. J'avoue que le courage me manque pour m'y astreindre dans le cas présent.