Qu'est ce que c'est précisément que cet objet que l'on appelle un film bourgeois ? Il y a un accord assez général, vague mais suffisant sur l'objet film, la pomme de discorde de cette affaire, c'est davantage "bourgeois". Il n'est pas besoin d'invoquer à grands coups d'encens toute les figures tutélaires de la gauche intellectuelle (Marx, Gramsci, Bakounine, Benjamin, Yves Montand et Mme Soleil) et les pourfendeurs actuels de l'ordre capitalisme, ou au moins leurs relais français (Bégaudeau et Lordon par exemple) pour donner une définition de première approximation utile pour approcher notre sujet. La bourgeoisie sérieusement définie, c'est la conjonction d'une position sociales (des revenus, un prestige sociale et culturel ...) et un mode de pensée qui a pour maxime celle-ci : « Agis de façon telle que tu traites l'humanité, toujours en même temps comme moyen, et jamais simplement comme fin, et dans la mesure où elle peut servir tes intérêts ». Le bourgeois ne pense strictement que dans le cadre de ses intérêts propres et ne formule jamais aucune pensée qui soit dangereuse pour sa situation.
Mais traduit dans le langage du cinéma, qu'est ce que serait précisément un film bourgeois ? En première analyse se serait un film de position, un film qui prends un certains ancrage dans le réel, et qui prends le parti de montrer certaines choses et de ne pas en montrer d'autres. Montrer tout ce qui est agréable à la classe bourgeoise et qui correspond à la représentation d'une société harmonieuse et satisfaite dans la réalisation des intérêts marchands, ne pas montrer les conflits, les remous, les souffrances que produit l'ordre marchand, nommément le capitalisme. L'autre volet du cinéma bourgeois serait de ne pas montrer d'une certaines manière les choses qu'il ne faut pas montrer. Disposer frontalement la misère cru et grise, la banalité cruelle de la pauvreté (Rosetta des frères Dardenne par exemple), ou montrer la résignation péniblement acceptée des ouvrier dont la société est délocalisée (Ce vieux rêve qui bouge de Alain Guiraudie). Il y a au fond, des milliers de modalités de mettre en scène un film non bourgeois avec cependant cette caractéristique commune que la mise en scène produira un effet social dérangeant. On pourrait digresser sur le fait que des films très violent et en théorie éminemment opposé à l'ordre bourgeois soit récupérés par ses mêmes institutions qu'il critique, par exemple le festival de Cannes, mais cela nous emmènerait trop loin, et poserait des questions autrement plus profondes.
Si on se penche plus exactement sur le cas du film, qu'est ce qui en fait un film bourgeois ? La convergence de la situation, et de la mise en scène, si l'on ma bien lu. Si l'on parle par exemple de la liberté et la légerté d'Anaïs, elles ne sont possible que dans un paradigme précisément bourgeois, ses dilemmes amoureux, ses escapades impromptus, le cancer de sa mère ... l'idée n'est pas de dire qu'Anaïs n'a aucune contrainte, mais que ce ne sont que des problèmes annexes car elle peut déployer sa joie et sa vie légère en toute chose. Elle a un problème avec son amoureux ? Elle trouve un homme plus mûr. Il l'ennuie ? Elle tombe amoureuse de sa femme, qui répond à des avances dans une situation asymétrique (d'écrivain à lectrice) dont on sait bien qu'on ne peut rien tirer, mais la providence bourgeoise l'aide en toute chose. Si Anaïs est triste elle peut se retirer dans la maison de ses parents, au bord de mer. Sa mère a un cancer, mais ce sera évacuer au profit de son histoire d'amour avec Emily, et deviendra même une excuse bien utile, qui la fait culpabiliser, en cause de caution morale. Au fond Anaïs n'est retenue par rien de la vie réelle, elle vie sur un nuage, ses problèmes d'argents sont un fond sonore, une variation sur un thème mineur parce que le sujet principal qu'adore la musique bourgeoise, c'est l'amour, qui, on le sait ne s’embarrasse en rien de considération de classe. Ce que dit le film, malgré lui-même est la chose suivante : La vie doit la liberté et une vie puissante à Anaïs. Le fondement psychologique de cette idée est la providence aide la bourgeoisie, parce que la vie doit quelque chose naturellement au bourgeois; on évacue parfaitement l'aspect social qui fournit à Anaïs les moyens d'une existence précise. Le film est d'autant moins juste, et plus pervers, qu'Anaïs n'est absolument pas dans une position qui devrait lui permettre de vivre cette vie hors-sol, tant la recherche, surtout en lettre est de plus en plus déclassée.
On pourrait m'opposer cette maxime qui n'en finit plus de faire vomir les gens qui ont encore à cœur le caractère aristocratique propre au jugement de gout : "Mais il faut bien du cinéma pour tout le monde". On pourrait opposer une première chose qui est que le cinéma parle nécessairement du réel, dont ce film ne parle pas, parce qu'il est une élégie de la manière dont la bourgeoisie s'imagine le monde. Je passe sur cette idée. La seconde argument, plus directement en rapport avec le film, c'est la profonde limite esthétique de ce genre d'idée. Parce qu'elle ne parle pas du réel, elle ne peut tirer de son imagination qu'un nombre limitée de chose et ne se nourri que de ce qui est déjà une interprétation du réel, une idée d'une idée au fond. Cela n’aboutis assez naturellement qu'à l'éternel réutilisation des mêmes poncifs de films en films et à une mise en scène de plus en plus fade et délavée. Le réel de son côté est une source d'interprétation et de puissance esthétique infinie, mon conseil est donc celui-là, arrêtez de tourner vos idées, polissez du réel.

Jansen
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le 6 avr. 2022

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