Les Amours d'Astrée et de Céladon par Angeldelinfierno

Les Amours d’Astrée et de Céladon, drame historique d’Éric Rohmer sorti en 2007, constitue le filon ultime de cette étude de par le paradoxe qu’il constitue; il est l’un des derniers films réalisés qui soit de l’un des acteurs phares de la Nouvelle Vague, et c’est aussi une œuvre particulièrement éloignée de son temps.


La modernité, ce film la cherche dans cette dimension «attrape-tout», qui se manifestait dans la pluralité de registres convoqués dans Pierrot le Fou et dans la richesse des caractères mis en scène dans Sans toit ni loi. En l’occurrence, la vibrante modernité de ce Rohmer réside dans sa volonté à puiser de nombreux éléments modernes – décors anciens mais ayant survécus au temps, intermédialité avec le lyrisme littéraire qui dégage des dialogues, de la narration des chansons – pour en tirer une archive vidéo du passé.

Dans l’ouvrage Ce qu’on voit dans les rues de Paris (1858), plus particulièrement le chapitre «Un daguerréotype mobile...», Victor Fournel définit le flâneur comme un artiste dont la sensibilité est pourtant précisément celle d’un daguerréotype, un type de cliché sans négatif naguère connu pour sa fiabilité et son impossible reproduction, et dont Balzac et Poe servent de modèle.

Dès son introduction, même la flânerie atteint le réalisation dans ses intentions de réalisation; le film s’ouvre effectivement sur un texte constituant une note d’intention de la part de Rohmer tout en justifiant sa désolation vis-à-vis de la reconstitution historique inexacte par laquelle le film a été contraint de procéder. Il y raconte que le tournage de ce film a été un véritable exercice d’exploration pour l’équipe, afin d’immortaliser l’évocation de la plaine du Forez, où l’intrigue est censée se dérouler et telle que le texte de Honoré d’Urfé l’a imaginée. Effectivement, ledit texte informe le spectateur que le décor originel s’avérait inutilisable en raison de son urbanisation trop importante. Fournel écrit à ce sujet: «Il reste bien des Amériques nouvelles à découvrir, en flânant à sa manière dans certains domaines encore inexplorés [...]». Ce contexte de faux-semblant, exigé par la marge de temps entre le cadre temporel de l’intrigue et le tournage, coïncide justement avec l’un des thèmes phares du film: le travestissement.


Les Amours d’Astrée et de Céladon est le dernier film de son réalisateur, marqué par un jeu d’acteurs théâtral typique de son cinéma, moderne car marqué de bout en bout par ses allusions très littéraires, telles que les sagas aux titres oniriques, les dialogues ciselés et évocateurs, certaines reconstitutions historiques théâtrales dans le jeu et les décors), ainsi que par des thématiques touchant les jeunes gens. On pense à ce style si multimédias à à la lecture de cette phrase de Fournel:


Chaque individu me fournit […] la matière d’un roman compliqué […]; je fais mouvoir, penser, agir à mon gré ce théâtre d’automates dont je tiens les fils.

La séquence dans laquelle intervient la chanson Faites-moi mourir de bonheur, interprétée par Astrée, et étant la première d’une longue série entendue tout au long du film aux moments où la stabilité sentimentale du couple est à son apogée ou au contraire au point mort, illustre l’exploitation du phénomène de la flânerie transposée au Ve siècle. Traditionnellement, le chant est un biais pour recueillir les sentiments des personnages, qu’ils peinent à diffuser en parlant. Si longtemps que le couple chante, il s’en trouve dans un état secondaire, favorable à la flânerie spirituelle durant laquelle chacun est libre dans ses paroles, à l’écart de tout protocole. Elle s’en trouve comparable à Jamais je ne t’aie dit que je t’aimerai toujours, interprétée par Marianne dans Pierrot le Fou.


Dans l’ensemble, la flânerie se manifeste dans le stratagème des deux amants pour faire vivre leur amour. Le travestissement de Céladon, exigé pour éviter d’être neutralisé, exprime une liberté d’apparence et un désir d’émancipation sentimental pluriel, d’où le titre accordé au pluriel.


La figure du flâneur est ainsi multiple et inter-temporel. Nous venons d’étudier qu’elle est intertemporelle et ne manque jamais de se confondre à la notion de modernité. Les trois films du corpus, expriment un certain renouveau quant à l’évocation de ces deux thématiques. Si elle n’a pas perdu de son essence, le flâneur se doit effectivement de s’adapter aux thématiques en vogue – début, fin d’une époque –, et aux représentations esthétiques souhaitées à son époque. Il capte, enregistre, archive ses promenades par le biais du cinématographe, et ne cesse, dans son héritage, de promouvoir la richesse du monde et de ses techniques. Tel ce que Fournel définit :

[…] Ce mot de flânerie […] il sied à toute âme candide; marcher devant soi, à la bonne aventure, sans songer à aller quelque part et sans se presser [...]».

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le 29 août 2023

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