Si vous voulez apprendre quelque chose sur l’anarchisme, ce film ne vous apportera rien sur le sujet ; car même s’il est censé présenter des portraits d’anarchistes (tendance Bakounine), il s’agit plus d’un film sur une génération en manque de repères qui navigue entre discours « politique » (et encore, c’est vraiment limité) et délinquance (on aurait dit à l’époque brigandage). Seulement à force d’envier les bourgeois, ils vont vouloir en faire sauter un, ce qui provoquera leur perte. S’il faut une référence au passé, disons que nous sommes plus proches de la bande à Bonnot, illégaliste assumé, qui finira dans un bain de sang.
Le sujet n’était pas sans intérêt, et la distribution tient la route : Tahar Rahim et Adèle Exarchopoulos s’en sortent brillament, mais je retiens surtout d’autres belles prestations d’acteurs peu connus pour l’instant : Swann Arlaud (qui campe le personnage le plus réellement anarchiste, assez proche de Victor Serge), Karim Leklou, et surtout Guillaume Gouix qui décidemment à un potentiel énorme. Le film est cadré au plus proche des visages, s’en est parfois gênant, mais il faut dire aussi que faute de moyens plus élevés, le réalisateur a du faire face à la difficulté de reproduire le Paris de ce XXe siècle naissant, et le film s’en ressent énormément. Si les scènes d’intérieur mettent en valeur le travail de décoration au plus proche de l’époque, le flou s’impose sur les scènes d’extérieur. Alors au choix on peut soit regretter (les anarchistes de l’époque étant très en prise avec un petit peuple parisien encore secoué par la répression de la Commune) ; soit considérer que nous suivons un groupe enfermé dans son propre univers… Du coup le film peine à trouver un rythme, et les phrases d’une autre époque sonnent avec désuétude dans nos oreilles. Drôle d’impression à la fin, comme si ce film avait finalement été réalisé par un conservateur méprisant les libres-penseurs ; d’ailleurs l’Ordre règne à la fin et si on devine bien les remords de Jean, on comprend surtout que ce n’est pas l’anarchie qu’il regrette, mais plus le danger et l’aventure de cette vie libertaire dans laquelle il s’est reconnu, lui qui est tout aussi opportuniste et égoïste. L’Histoire a toujours mis en évidence ce genre de groupuscules (Bonnot, Bader…), profiteurs et bricoleurs avant d’être de vrais théoriciens ; ils firent plus de mal que de bien au mouvement anarchiste. Mais ça, le film n’en démontre rien, car non resitué dans l’esprit de l’époque. Pour son deuxième long-métrage, Elie Wajeman offre un film finalement peu abouti dans sa description, dans les rapports entre ses personnages et dans son message politique (s’il y en a un). Dommage. 

Kerven
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le 16 déc. 2015

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