À l'instar de cette statue de Marilyn, icône kitsch de la féminité et objet à fantasme pour l'homme, dont la présence dans un tel film étonne forcément, Les anges portent du blanc surprend avant tout en n'étant pas ce qu'il semble être. Alors qu'il aborde les dérives d'une société chinoise où la loi de l'argent n'a fait que renforcer le patriarcat existant, achetant le silence de la femme et faisant tomber dans l'oubli l'ignominie masculine, le nouveau long-métrage de Vivian Qu parvient à ne pas être démonstratif, moraliste, maniéré ou purement auteuriste. Autant dire qu'un tel film, dans un cinéma actuel en proie au formatage et au racolage émotionnel, constitue une vraie bouffée d'air frais, une véritable lueur d'espoir pour le cinéphile en quête de finesse et de subtilité.


Et de la finesse, il en aura fallu à Vivian Qu pour un aborder un pitch aussi insistant sur les différentes formes de violences que subissent les femmes en Chine actuellement. On découvre, en effet, en l'espace de quelques minutes, une violence qui n'en finit plus de se décliner sous toutes ses formes, pouvant être sexuelle, sociale ou psychologique. Avec un tel catalogue, le danger de dériver vers le pathos ou le sensationnalisme est réel. Un danger fort heureusement évité, grâce à la justesse et à la retenue des jeunes comédiennes (la prestation, en ce sens, de Wen Qi est remarquable et compte pour beaucoup dans la réussite du film). Mais également grâce à une mise en scène qui a su faire preuve de pudeur et de poésie afin de rendre à la femme ce que l'homme malmène bien souvent, à savoir sa dignité.


Une dignité, justement, qui se matérialise à l'écran de façon subtile à travers l'utilisation du blanc. Une couleur habituellement synonyme de pureté mais qui semble vouée à être continuellement tachée, tout du moins symboliquement. Ainsi, la blancheur des draps sera souillée par le viol, la blancheur du monde hospitalier servira à masquer le crime, la blancheur de la robe (celle de Mia ou de Marilyn) sera toujours ternie par le regard libidineux porté par l'homme. Des taches qui ne seront jamais nettoyées si on s'obstine à nier leur existence, une blancheur qui ne sera jamais restaurée si on refuse de regarder la réalité telle qu'elle est.


Et pour exposer au grand jour un semblant de vérité, Vivian Qu se permet de détourner fort habilement les rouages du film d'enquête. Car l'investigation, qui est ici menée par une avocate féministe, servira surtout de prétexte à confronter les différents points de vue féminins, à faire vivre une parole souvent tue ou ignorée, afin de mettre en relief les multiples visages de la domination masculine : une domination qui peut être physique ou sexuelle (le viol des collégiennes), sociale (avec la peur de perdre son emploi ou d'être expulsé), morale (face à la pression des adultes, les jeunes victimes en viennent à douter d'elles-mêmes), ou encore institutionnalisée (avec la corruption qui gagne le système judiciaire ou le corps médical). Une domination entretenue sournoisement par le pouvoir de l'argent, car tout s'achète : les informations, les institutions et surtout le silence.


Mais si le constat est accablant, jamais Vivian Qu ne verse dans le moralisme ou les bons sentiments. Il y a une vraie retenue dans le regard qu'elle porte sur ses personnages, au risque sans doute de paraître parfois trop austère, mais qui lui permet d'être terriblement réaliste. Un souci de réalisme qui renforce indéniablement l'efficacité du film : plutôt que de les voir comme des stéréotypes épais (la pauvre victime, la jeune innocente...), les différents protagonistes nous apparaissent comme des êtres faisaient ce qu'ils peuvent pour survivre avant tout. Si les parents acceptent la compromission, c'est pour éviter à leur enfant d'avoir l'étiquette de « victime » collée au front. De même, si Mia tente de monnayer son silence, c'est pour avoir assez d'argent pour fuir et peut être enfin vivre. Ainsi, Vivian Qu nous rappelle la double peine qui touche irrémédiablement les plus faibles, elle rappelle surtout à la société chinoise la responsabilité qui est la sienne, l'injustice qu'elle entretient de façon hypocrite et sournoise.


Un discours qui serait sans doute trop démonstratif si Vivian Qu ne le conduisait pas aussi avec poésie. Comme lorsqu'elle filme de façon surréaliste l'éclosion d'un parc d'attractions au milieu de tout ce rien : la vision de ces formes immenses et colorées, poussant dans un lieu asséché en espoir et en joie, évoque à merveille l'image factice que la Chine se donne. Mais c'est surtout lorsqu'elle utilise la figure allégorique de Marilyn, certes un peu trop présente, qu'elle parvient à illustrer avec force l'émancipation de Mia. Vainement cachée sous la robe de cette gigantesque statue, elle reste à la merci des prédateurs sexuels. Une fois la statue déboulonnée, elle s'échappe du cliché (de victime ou d'objet sexuel) pour s'affirmer enfin, redonnant aux couleurs ternies leur blancheur d'origine.

Procol-Harum
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le 25 nov. 2021

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