Chronique de la misère sociale non dénuée d'un certain optimisme

Au-delà de cette peinture pittoresque et presque idéalisée des bas-fonds qu’il décrit comme des lieux de villégiature où les mauvais garçons à figure chevaleresque côtoient des artistes fous et suicidaires et font chavirer les cœurs de jeunes femmes perdues, il y a dans cette adaptation assez libre de l’œuvre éponyme du dramaturge russe Gorki, une forme de positivisme que l’on pourrait presque assimilé à de l’optimisme. Les griefs du réalisateur sont à peu près les mêmes que ceux de l’auteur, mais sa transposition dans l’univers des taudis parisiens lui confère une sorte de lyrisme presque surréaliste.


Politiquement très imprégné de l’idée socialiste, la vraie, Jean Renoir est encore sous le coup des grandes espérances que donnèrent le mouvement du Front Populaire pour la masse prolétarienne. En découle un film plutôt teinté d’espoir, avec la figure du héros positif, l’homme du peuple, incarné par Jean Gabin, qui finit par venir à bout de toutes les injustices qui jalonne son parcours, lui l’anarchiste, truand notoire qui ne s’abstrait de sa condition que pour trouver l’amour.

Son approche de l’idéologie Marxiste étant absolument distante, ce qui est probant dans ses rapports avec l’aristocrate magistralement interprété par Louis Jouvet, l’idée de combat de classe ne semble pas être sa principale quête. Il ne désire que l’amour de celle qu’il finira même par sauver de l’emprise d’un tenancier véreux dans un happy-end très distancier que la caméra filmera comme une fuite en avant.


Bien que le sujet préalable ne s’y prête pas vraiment, le ton général est plutôt détendu, même si le final, avec le suicide de l’artiste joué par un Robert Le Vigan absolument habité, vient noircir cette idée qu’à la fin le bien finit par triompher. Car sans être un cinéaste moraliste, Renoir croit profondément aux notions de bien et de mal, et imprime souvent ses œuvres de la dualité de l’un contre l’autre, que son grand sens de l’application visuelle de la nuance vient souvent esthétiser.
Probablement encore empli d’espoir sur le devenir de la société de ses contemporains, il donne même à son film des allures de conte moral, sans ne jamais céder au réalisme situationnel et en étant absolument conscient des faits. Ce qui ne saura durer avec ces futures œuvres, toujours non dénuées d’humanisme, mais beaucoup moins optimistes.


Quelques années plus tard, Akira Kurosawa donnera sa vision beaucoup plus sombre et pessimiste de l’œuvre de Gorki.

philippequevillart
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le 11 mars 2019

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