Parce que le morbide se lie avec la poésie des personnages, le film ne demande qu'à être vu.

C'est l'histoire de deux bouchers... Présenté ainsi, le film n'est pas véritablement attractif. Et pourtant! Ce serait une erreur de ne pas le regarder. Car ces bouchers, Svent et Bjarne, ouvrent leur propre boutique et rencontrent le succès en proposant des « volaillettes », une spécialité à base de chaire humaine. Si cette extravagance n'est pas d'une affolante originalité, le film est néanmoins un petit chef-d'œuvre danois né d'un simple constat. Anders Thomas Jensen, le réalisateur, a développé ce scénario en remarquant que de nombreuses personnes sont prêtes à aller très loin pour « passer à la télé ».

Les personnages

Pour apprécier pleinement ce film, il faudra tolérer dans un premier temps, puis adorer, ces personnages hébétés. Bjarne (Nikolaj Lie Kaas qui a déjà joué au côté de nders Thomas Jensen dans Les lumières dansantes) est un jeune homme rustre, l'esprit peu vif, mais extrêmement pragmatique et sincère. A ses côtés son ami, Svent, pas plus intelligent que charismatique (oui c'est un euphémisme). Mais cet homme, constamment ridiculisé voire méprisé, va nourrir une ambition excessive. Toute l'intrigue du film repose sur cette incontrôlable névrose.

Des personnages aussi atypiques ne demandaient qu'à être mis en scène. La simplicité de Bjarne est moins de la bétise que de l'innocence . Il expliquera de manière abrupte mais honnête qu'il veut débrancher son frère pour hériter de sa fortune. Les propos qu'il échange avec les autres personnages semblent robotisés, et nous plongent dans un univers irréel où n'entre que la folie.
La folie, n'est-ce pas d'ailleurs de ça dont traite le film? Mais pas de la leur. Il nous questionne sur la notre. Le naturel avec lequel les personnages agissent nous dérange et nous rend dès lors « différent ». Nous plongeons alors gaiement dans ce drôle d'univers, savourant chaque instant de ces dialogues impossibles.

L'esthétique du laid

Comme de nombreux films scandinaves, Les Bouchers Verts adopte une esthétique froide, aussi crue que la franchise des personnages.

Le plus laid est sublimé par une image taillée minutieusement. Le crâne de Svern fait ainsi l'objet d'une attention particulière lors de nombreux plans: de profil, en plongée, etc. La laideur de sa coupe devient soudainement objet de curiosité, de recherche graphique, d'œuvre d'art. Durant son œuvre, Anders Thomas Jensen continue l'éloge du moche à travers ces corps morts accrochés dans la chambre froide comme une vulgaire pièce de viande sans âme. Ils n'apparaissent jamais plus de quelques secondes, comme une relique précieuse que le réalisateur ne peut pas trop dévoiler.

Il en est de même lorsqu'un boucher expliquera, en préparant du saucisson, fasciné, qu'il n'y a rien de plus humiliant que de remplir son propre anus avec ses organes. Le morbide nous dérange ou nous fait rire, mais il faudra l'accepter, car ce film l'est délicieusement.

Notre folie

Nous retrouvons ainsi dans ce film une esthétique courante au sein de nombreux films scandinaves. D'autres adopteront la comparaison avec Delicatessen. Mais si nous ne devions parler que de ce film, je dirai qu'il est glauque, improbable, drôle et poétique.

Notre plaisir de spectateur révèle peut-être notre propre folie: il nous sera facile de murmurer durant le film « Alors elle, direction la boucherie ». Voilà que nous assassinons à travers nos fantasmes les personnages. Le film et les personnages convainquent. Et parce que le morbide se lie avec la poésie des personnages, le film ne demande qu'à être vu.
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le 25 janv. 2012

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