Ou bien JONATHAN EDWARDS LE GOELAND

Jonathan Edwards est un athlète culte des années 90, champion olympique de triple saut, le premier sauteur à avoir franchi le mur des 18 mètres.
Les Chariots de feu se déroulent durant les J.O. de 1924 à Paris, plus de 70 ans en amont - et ne le concernent en rien.
Sauf que -
Jonathan Edwards est un clone parfait d'Eric Liddell (aucun lien de parenté avec la petite Alice du pays des malices de Lewis carroll), champion olympique de 400 mètres en 1924, à un point tel que c'en est saisissant.
Jonathan Edwards était surnommé "le goéland ", Eric Liddell, l'Ecossais volant.
Jonathan Edwards était fils de pasteur et prêcheur lui-même, tout comme Eric Liddell, missionnaire en Chine. Et tous les deux refusaient de courir le dimanche. (Et là on commence à rentrer dans le film.)

Bref, presque une réincarnation.

(Quant au lien, certes ténu, avec Livingston, le goéland du cinéma ... il n'y en a pas - sauf peut-être la présence de deux BO très célèbres, presque plus célèbres que les films, et sans le moindre rapport musical entre elles.)

(Et quant à la "fine aigrette", on peut y voir l'image de la couronne de laurier surmontant le crâne du champion olympique).

On peut s'étonner de l'énorme succès du film - lorsqu'on voit le caractère extrêmement ténu du récit - l'aventure olympique de deux champions, désireux au plus profond de s'affirmer à travers leur sport ; le premier, Harold Abrahams (Ben Cross), contre l'antisémitisme latent (qu'on perçoit surtout dans la bouche des hautes autorités) parce qu'il est juif ; le second, Eric Liddell (Ian Charleson), pour honorer Dieu qui lui a donné ce don, parce qu'il est très pieux.

Bon - le film ne se limite pas à cela, ni aux aventures parallèles des deux athlètes, l'un avec sa compagne et son entraîneur, l'autre avec sa famille et ses convictions. Il offre aussi un point de vue intéressant sur l'époque, sur l'antisémitisme rampant, sur les élites - en particulier autour de la réputation des Grandes Ecoles, Cambridge en tête.

Il vaut aussi pour la B.O. , peut-être trop entendue, de Vangelis, grand expérimentateur du son et pianiste autodidacte de classe. Elle colle parfaitement aux compétitions, en renforce la dimension épique, presque mystique.

Et il y a de très belles scènes - le pré-générique culte, avec la cohorte des athlètes britanniques courant en bord de mer, bercée par le fameux thème musical. En opposition, on a aussi la scène, très brève mais saisissante de l'armada américaine en train de s'entraîner, à la façon des guerriers de Sparte, sur un fond musical au contraire totalement électronique et très speed. Ou encore l'image de Harold Abrahams et de son entraîneur (Ian Holm, à son avantage), célébrant la victoire, à travers la vitre d'un café sur le point de fermer, avec force libations, et les entraînements parallèles en montage alterné de Liddell et d'Abrahams.

Et tous les seconds rôles, silhouettes très typées, Ian Holm, Nigel Davenport, Sir John Gielgud et Lindsay Anderson (en doyens d'université mielleux et odieux), Nigel Havers, Patrick Magee sont tous à leur avantage.

Il y a aussi l'évocation d'un temps où les valeurs sportives, d'affrontement et de respect, ne devaient rien à l'argent ni au dopage. Encore que - Harold Abrahams invente une nouvelle forme d'entraînement qui fera fortune, avec coach privé, à la fois fin psychologue, tacticien subtil et préparateur physique impitoyable. Et ces jeux étaienttrès largement réservés aux élites ("des nations civilisés" dit clairement le speaker), des jeux de classe sociale pour ceux qui avaient effectivement les moyens d'y participer. On voit très peu de femmes et très peu d'athlètes de couleurs dans les défilés préolympiques.

Le succès du film, très britannique, provient peut-être aussi de son côté très nationaliste - même entre gentlemen, les drapeaux et les hymnes sont omniprésents. Et le second grand thème musical du film ("Jerusalem - and did those feet in ancient time"), dont le texte est un poème de William Blake (d'où le titre du film est extrait) est tenu pour le principal hymne patriotique de l'Angleterre. Il est aussi beaucoup question de patrie dans le film - même si les aventures d'Abrahams et de Liddell, pour des raisons très différentes, sont essentiellement individuelles.

Après le triomphe des Chariots de feu, Hugh Hudson a obtenu un autre immense succès avec Greystoke, avant que le fiasco de Revolution ne ruine quasi définitivement sa carrière.

Depuis, le dopage, l'argent et le nationalisme le plus exacerbé ont proliféré.

Et (alors qu'Eric Liddell est mort très prématurément en mission en Chine - "et toute l'Ecosse l'a pleuré"), Jonathan Edwards le goéland a récemment renoncé à sa foi.

Tout fout le camp.
pphf

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