La nouvelle du romancier Richard Donnell The most dangerous game a connu au fil du temps de nombreuses adaptations, dont une très récemment en bande dessinée, mais aucune n'égale dans sa poésie visuelle et sa densité narrative Les Chasses du Comte Zaroff que réalisent Ernest B. Schoedsack et son équipe en 1932. Ils profitent du décor qu'ils ont à leur disposition pour réaliser parallèlement King Kong, autre classique du cinéma fantastique.


Île, château, forêts et marécages
Tous les ingrédients du film d’aventures sont réunis ici : une île comme décor principal, un château habité par des personnages inquiétants, une jeune femme retenue prisonnière et une course poursuite à travers jungle et marécages. Joel McCrea y incarne le héros, Robert Rainsford, un chasseur de fauves à la réputation internationale confronté à Zaroff, un Russe en exil dont le raffinement apparent contraste avec la noirceur de l’âme. Pour tuer l’ennui de sa retraite, le Comte fait échouer délibérément des navires sur son île et transforme les éventuels rescapés en gibier de luxe.


Partie d’échecs dans la jungle
Le duel entre l’Américain et le Russe structure le récit. Comme Zaroff le formulera lui-même en évoquant sa future confrontation avec son rival, c’est à une partie d’échecs à laquelle on assiste. D'un côté le camp blanc où Rainford et Eve, vêtus de blanc, représentent le couple royal. A leur côté, Martin, lui aussi prisonnier du Comte,  fait figure de bouffon avec ses propos d'ivrogne. A leurs trousses, l’armée noire. Zaroff en tête, maître absolu des lieux, encadré de ses deux tours fidèles (Ivan et Tatar) et précédé d'une horde de pions (ses dogues dressés pour tuer).


Zaroff, un personnage ambigu
L'action quant à elle fait la part belle aux pièges, traquenards et entourloupes que les deux rivaux se tendent. A ce petit jeu, le Comte n’est pas le chasseur hors pair qu’il prétend être et de fait, le roi n'est pas la pièce la plus puissante du jeu. Zaroff  affiche d'ailleurs bien plus de faiblesses que de forces, préférant même changer les règles du jeu en cours de route (il troque son arc contre un fusil) et s’appuyer davantage sur ses auxiliaires que sur ses piètres qualités de chasseur. Un personnage complexe qui aurait sans doute mérité plus d'approfondissement si le film n'avait pas été si court (1h03).


Un joyau expressionniste
Si le film de Schoedsack peut laisser le spectateur d’aujourd’hui sur sa faim en matière de rythme et de péripéties, il s’avère être en revanche d’une grande réussite formelle. Les intérieurs de la forteresse répondent à une architecture atypique qui n'est pas sans rappeler les demeures d’autres grands films expressionnistes (Frankenstein, Nosferatu…). Dans ce même ordre d'idée, on remarquera l'aspect caricatural de certains personnages comme Tatar et Ivan, les sbires de Zaroff. Quant au comte, adepte de grimaces et haussements de sourcils ostentatoires,  il est à ranger parmi les meilleures figures maléfiques du cinéma des années trente aux cotés de M. le maudit ou du docteur Mabuse. Enfin, l’extraordinaire travail sur la photographie confère aux scènes de chasse une poésie fantastique qui à elle seule mérite le visionnage.


Personnages/interprétation : 8/10
Histoire/scénario : 7/10
Mise en scène/photographie : 8/10


8/10


Critique à retrouver sur le Mag du Ciné

Créée

le 28 oct. 2019

Critique lue 918 fois

29 j'aime

10 commentaires

Theloma

Écrit par

Critique lue 918 fois

29
10

D'autres avis sur Les Chasses du comte Zaroff

Les Chasses du comte Zaroff
Jackal
7

Sometimes, the hunter becomes the hunted

Un américain chasseur de gros gibier est le seul survivant du naufrage de son navire sur les récifs d'une île mystérieuse. Le comte Zaroff, propriétaire de l'île, l'accueille chaleureusement dans son...

le 20 mars 2013

28 j'aime

7

Les Chasses du comte Zaroff
Marius
7

homo homini pupuce

1934 et tous les codes du survival sont là. 1/ Tout va bien: "Youplali youplala,on est super bien entre Américains sur notre yacht qui déchire tout." 2/ Mauvaise décision: "oh regardez, une ile...

le 11 oct. 2010

21 j'aime

3

Les Chasses du comte Zaroff
cinewater
7

Un chasseur sachant chasser sans...

The Most Dangerous Game a incroyablement bien vieilli. Si on se replonge dans le contexte de l'époque, c'était au temps du cinéma muet, qui était ici bien parlant, et sur l'impériale société de...

le 31 juil. 2015

16 j'aime

4

Du même critique

Us
Theloma
7

L'invasion des profanateurs de villégiature

Avec Us et après Get Out, Jordan Peele tire sa deuxième cartouche estampillée "film d'horreur". Sans vraiment réussir à faire mouche il livre un film esthétiquement réussi, intéressant sur le fond...

le 21 mars 2019

107 j'aime

33

Ad Astra
Theloma
5

La gravité et la pesanteur

La quête du père qui s’est fait la malle est un thème classique de la littérature ou du cinéma. Clifford (Tommy Lee Jones) le père de Roy Mac Bride (Brad Pitt) n’a quant à lui pas lésiné sur la...

le 18 sept. 2019

97 j'aime

55

Life - Origine inconnue
Theloma
7

Martien go home

Les films de série B présentent bien souvent le défaut de n'être que de pâles copies de prestigieux ainés - Alien en l’occurrence - sans réussir à sortir du canevas original et à en réinventer...

le 21 avr. 2017

81 j'aime

17