Les Chevaliers de la table ronde, c'est avant tout un travail remarquable d'anthologie et de choix narratifs dans les nombreuses oeuvres de la matière de Bretagne pour servir au public une histoire unique et qui tienne la route.
Mais c'est en cela aussi un travail procrustien qui a consisté en saper toute la bizarrerie et l'ADN propre à ces aventures de chevalier pour livrer au public une histoire convenable.


Convenable mais hélas pas toujours vraisemblable.
Le réel l'emporte sur une symbolique volontaire et se perd parfois dans un ridicule qui subit la comparaison avec les parodies de chevalerie cinématographiques, lesquelles sont parfois plus fidèles à l'esprit des romans.
L'exemple en deux duels:
- le duel entre Lancelot et Arthur voit le propriétaire d'Excalibur la coincer gauchement dans un tronc d'arbre: réaliste mais invraisemblable. Un chevalier ne tombe pas dans ce genre d'incommodités sans ridicule.
- le duel final entre Lancelot et Mordred, qui symbolise assez le film dans son ensemble, use de la symbolique du chevalier rouge-or luttant pour le Bien et du chevalier noir luttant pour le Mal. La symbolique est mise en relief mais de façon incomplète. Dans le reste du film, les jours sombres sont effectivement sombres, les jours heureux sont ensoleillés. Or dans cette lutte finale, qui arrive à contre-temps d'une bataille ultime entre Bien et Mal dans un décor crépusculaire, il fait grand soleil. En outre, Lancelot, quoique vainqueur, ressort de ce combat littéralement couvert de boue, ce qui gêne la symbolique.


On pourrait également citer le serpent qu'un soldat d'Arthur souhaite trancher en deux pendant un pourparler qui glisse en faveur de Mordred et qui déclenche par un qui-pro-quo grotesque la dernière grande bataille du film. Là aussi, c'est très symbolique - le serpent représentant Mordred en train de triompher d'Arthur stoppé par un des vassal de son ennemi - mais peu vraisemblable et d'un réalisme absurde.
Le réel problème du film reste alors son indécision de parti pris entre réalisme et mythologie a contrario de films tels que l' Excalibur de Boorman qui prend le parti du merveilleux romanesque et Le Roi Arthur de Fuqua qui prend le parti d'imaginer le contexte historique réel dans lequel s'est forgée la légende. Ici, nul choix n'est pris, les deux cohabitant pour le meilleur comme le pire.


Les Chevaliers de la table ronde, c'est aussi un film assez typique des années 50 avec sa mise en voix théâtrale, avec sa colorisation de manuel d'Histoire, sa narration de fresque, de péplum que l'on apprécie en spectateur amateur du genre. Proche de l'iconographie de la chevalerie, il donne un bon exemple à diffuser en salle de classe et peut servir le professeur de lettres qui souhaite faire passer à ses élèves les valeurs chevaleresques illustrées par les romans de chevalerie. La scène du serment de la table ronde, les costumes, les joutes et les gages y contribuent grandement. Les images, colorisées, donnent une impression d'images d'Epinal, charmantes. De surcroît, l'esprit très enfantin des batailles ne peut que plaire aux enfants et rappelle qu'il faut, pour bien goûter ce film, savoir garder des yeux et un coeur enfantins.


Les Chevaliers de la Table ronde, c'est aussi un personnel cinématographique et littéraire.


Pour ce qui est du personnel cinématographique, rien ou si peu à redire !
Le réalisateur Richard Thorpe, à l'origine des premiers Tarzan, n'en est pas moins à l'aise dans le genre des films de capes et d'épées comme il l'a démontré avec son célèbre Ivanhoé dans lequel sa vedette fétiche, Robert Taylor, jouait déjà le rôle principal. Un Robert Taylor en forme dans son impeccable interprétation de Lancelot. Entouré d'Ava Gardner (La Comtesse aux pieds nus) et Mel Ferrer (Guerre et paix) dans les rôles respectifs de Guenièvre et d'Arthur, il fait des éclats et défie avec panache ses antagonistes assez caricaturaux, Morgane et Mordred, campés par Anne Crawford (Tempête sur la colline) et Stanley Baker (le méchant du Zorro avec Alain Delon) à l'aise dans leurs rôles de méchants. On regrettera la discrétion, le caractère effacé qu'impriment à leurs personnages Anne Crawford et Félix Aylmer (Isaac York dans Ivanhoé, ici dans le rôle de Merlin).


C'est du côté du personnel romanesque que le film pèche.
Car c'est à peine si l'on se rappelle que Morgane est la soeur d'Arthur. Ce qui ne masque pas le fait que Mordred, fils bâtard d'Arthur et de Morgane, devient l'époux de celle qui devrait être sa mère et le demi-beau-frère de celui qui est son père naturel !
Car Lancelot qui se présente comme Lancelot du Lac n'est plus présenté comme élevé par la Fée Viviane. Pire, Viviane n'est plus qu'une dame de cour dont Lancelot se rapproche pour fuir son amour impossible d'avec la Reine !
Mais le pompon revient à Merlin. L'Homme qui voit l'avenir - ou qui à défaut dans cette version devient l'homme assez sage pour prévoir sans faillir les complots qu'ourdissent Morgane et Mordred - est incapable de surseoir à son propre assassinat, pourtant si prévisible. Invraisemblance qui ne doit pas masquer l'infidélité à la fin généralement admise: Merlin ne meurt pas et est enfermé par Viviane dans une tour d'air invisible. Son assassinat l'humanise de trop et fait perdre toute l'originalité au personnage.


Quoi qu'il en soit, Les Chevaliers de la table ronde est un film très sympathique à regarder avec des yeux d'enfant, à détacher de toute tradition et de tout ancrage soit réaliste soit merveilleux. Un bon classique hollywoodien.

Frenhofer
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le 9 nov. 2016

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