Les chevaux de feu est un film parlant, pensé et conçu quasiment comme un film muet. Il y a bel et bien des dialogues, et l'on pourra d'ailleurs trouver une certaine force archaïque à ces mots qui prennent souvent la forme de la complainte. Malgré tout, le film de Paradjanov se ressent bien davantage par l'image.


L'histoire est de fait rudimentaire, fondée sur un canevas vieux comme le monde. Une tragédie intemporelle, où la foi orthodoxe omniprésente cohabite avec quelques éléments païens. Et le découpage en chapitres, aux enchaînements abrupts (avec des intertitres qui rappellent eux aussi le muet), montre que Paradjanov raconte plus par collages d'évènements clés qu'en développant un récit fluide et minutieux.


D'où cette narration visuelle et picturale, aux images de beauté brute, comme capturée sur le vif. Les images d'un peintre - art qu'il pratiquait également - qui joue avec les lignes du décor mais aussi et surtout avec des couleurs simultanément vives et pastelles, ainsi qu'une lumière résolument naturaliste. Un autre choix fort est cette caméra souvent en mouvement, circulaire, proche de ses personnages qu'elle semble envelopper, pour un effet très immersif. Beaucoup de plans ou de scènes fugaces impriment ainsi fortement la rétine : une recherche éclairée par les torches, une pluie sous les rayons du soleil, un immense radeau articulé qui glisse sur des eaux brumeuses, des cérémonies rythmant les évènements importants, et j'en passe.


Cette mise en scène baroque trouve également ses origines dans la curiosité ethnologique de Paradjanov, homme du Caucase, amoureux de l'Ukraine et venu s'intéresser ici aux Houtsoules des Carpates. Et si une rivière, une forêt ou un vallon enneigé intègrent parfois joliment ses plans, il me semble que son oeil s'intéresse davantage aux êtres. J'ai ressenti une grande attention portée aux visages et à leurs expressions, le grain velouté de l'image renforçant cet effet de portraits sur toile que l'on note parfois. Une grande attention portée aussi aux vêtements, objets ou accessoires, tout ce qui peut-être travaillé par la main de l'homme et témoigne ainsi d'une culture. On n'est alors pas du tout étonné d'apprendre que le père de Paradjanov était antiquaire.


Les chevaux de feu divisera car très chargé en folklore, très travaillé sur certains points et plus relâché sur d'autres. A vous de voir. Mon texte s'arrête là en tout cas, ça me semblerait un contresens d'écrire des tartines sur cette philosophie de cinéma.

VilCoyote
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le 3 sept. 2018

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VilCoyote

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