Dans les années 1980, Francis Veber écrit et réalise une trilogie de films comiques autour de Gérard Depardieu et Pierre Richard aux succès retentissants, qui ont fait le bonheur des gérants de salle de cinéma puis des actionnaires des chaînes où les films sont fréquemment rediffusés, et bien sûr qui ont offert un peu de sourire à des millions de (télé)spectateurs.


Ce fut La Chèvre en 1981, Les Compères en 1983 et Les Fugitifs en 1986.


Quel bel exploit d’aligner un tel trio de réussites successives, peu de réalisateurs pourraient s’en vanter. Mais c’est aussi grâce à une certaine manière d’écrire et de réaliser, on y trouve des ingrédients communs qui peuvent être autant des marques d’un cinéma d’auteur avec sa personnalité et ses tics, que d’un certain mécanisme efficace mais un peu trop évident.


Il y a son prétexte, qui tourne encore une fois autour de la paternité et de la filiation, de l’absence évidente ou qui se découvre. Celle de Tristan, un jeune homme de 17 ans, un adolescent parti en fugue dans les bras de sa petite amie et qu’on découvrira plus tard (mal) intégré dans une bande de loubards. Pour le retrouver, sa mère envoie à sa recherche deux amis qu’elle a connus 18 ans plus tôt et à qui elle fait croire à chacun qu’il est son père.


On aurait pu croire que le film allait s’appuyer sur un certain vaudeville en cachant à l’un et à l’autre la situation, mais il n’en est rien, le métrage dévoile assez rapidement l’astuce à ses deux personnages, qui vont alors jouer de concurrence.


C’est le retour du nom de Francois Pignon, c’est l’introduction de Jean Lucas, patronyme repris pour Les Fugitifs. Une fois encore, et ce ne sera pas la dernière, le duo de personnages est conflictuel mais pas vraiment agressif, très différent, entre Pignon, habituel maladroit, ici dépressif guéri mais grand émotif, bienveillant et doux. Jean Lucas est un carriériste, un journaliste talentueux, séducteur et un peu bourru, dont l’enquête sur la mafia niçoise permettra de relier ce trio étrange pour la dernière partie du film.


Le ressort du film repose en partie sur leurs différences, ce qui permet de jouer sur leur complémentarité, mais aussi sur leur rivalité. L’un et l’autre s’octroient la paternité selon les actes de leur faux fils, se projettent dans des futurs différents. C’est aussi tout le mérite du film de ne pas en faire des personnages ridicules. Si Pignon peut être risible, et que voir un homme pleurer aujourd’hui n’a peut-être pas le même impact humoristique, il reste un personnage clé, malchanceux mais déterminé et bon.


Car si on rit de bon coeur devant le film, avec là encore des scènes fortes pour chatouiller les zygomatiques (le tire-larmes forcé dans la station service est la meilleure pour moi, mais certains citeraient peut-être les « coups » de téléphone ou les coups de boule, et autres petites répliques amusantes), Les Compères laisse aussi de la place pour une certaine humanité, une émotion qui n’est pas vraiment démonstrative mais malgré tout présente. On ne peut que ressentir de la sympathie pour ces deux pères qui veulent croire à cette paternité qui les motive à partir à la recherche de Tristan puis à l’aider.


Francis Veber a trouvé le bon ton, avec un humour bienveillant et touchant, ce qui permet d’atténuer un scénario dont les grandes lignes sont sans surprises, sa force réside surtout dans les relations de ses personnages. Cette intrigue secondaire autour de la mafia niçoise apparaît plus comme un prétexte, assez mal construit, rapidement résolu. Mais le film permet aussi de (re)découvrir une France des années 1980, comme dans Les Fugitifs, où le cadre ensoleillé de Nice et des alentours côtoie la découverte des endroits de détente adolescents, une salle d’arcade remplie de bornes Jeutel ou une patinoire à roulettes. Le portrait des loubards adolescents en moto des années 1980 est moins drôle et amusé que les bandes dessinées de Margerin avec Lucien et ses amis, mais ne se révèle pas trop caricatural.


Tout l’ensemble fonctionnerait beaucoup moins sans la présence d’un duo d’acteurs mythiques, les mêmes entre La Chèvre et Les Fugitifs, Pierre Richard et Gérard Depardieu, l’un et l’autre se retrouvant dans des rôles déjà connus et qui sont ici des variations, même si dans le film la nature de leurs relations est un peu moins conflictuelle. Une fois encore, le duo épate, même si Pierre Richard semble moins convaincant quand l’émotion le rattrape et qu’il doit la jouer, on voit l’eau ajoutée. Ces deux monstres du cinéma français consolident leur réputation dans cette comédie où ils sont dans leur élément. Mais ils laissent moins de place aux autres, quelques gueules croisées (Maurice Barrard, Patrick Blondel, etc.) et Anny Duperey en mère déterminée surnagent. Stéphane Bierry qui joue Tristan est l’adolescent pataud, un peu tête à claques (et il en recevra), mais qui n’offre pas assez de répondant face à Pierre Richard et Gérard Depardieu.


Et puis il y a cette musique emblématique, une fois encore signée Vladimir Cosma. Le thème sifflé est emblématique, doucement joyeux. Sa mélodie reste en tête longtemps encore après le générique de fin terminé, tout comme le souvenir du visionnage de cette réussite évidente. Peu importe si on voit les habitudes, les idées, les tics, les mêmes rôles que dans les autres films. Le résultat reste réjouissant, cette trilogie reste un petit joyau de l’humour au cinéma.

SimplySmackkk
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le 28 mars 2022

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SimplySmackkk

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