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Luigi Magni a réalisé plusieurs films autour du Risorgimento et des rapports tumultueux entre les cités italiennes, la papauté et l’Empire d’Autriche. Celui-ci s’inscrit dans le contexte des conspirations révolutionnaires menées par les carbonari, ces sociétés secrètes luttant contre le pouvoir clérical. Inspiré d’une histoire vraie, "Les Conspirateurs" ("Nell’anno del Signore" dans le titre original) raconte comment deux carbonari romains furent condamnés à mort et exécutés sans preuve dans une affaire d’homicide survenue en 1825.


Le film s’ouvre avec des plans fixes présentant des statues animalières en pierre, gargouilles catholiques dominant la ville et qui donnent tout de suite le ton : ces emblèmes du pouvoir spirituel terrorisent plus qu’elles ne protègent. De la Rome chrétienne d’en haut on passe à la Rome juive d’en bas, avec une cérémonie durant laquelle un rabbin marie des couples d’enfants à la chaine, seul subterfuge trouvé pour éviter les baptêmes forcés auxquels sont soumis de nombreux enfants de la communautés enlevés en pleine rue. Auprès du rabbin, une superbe jeune femme à la plastique avantageuse, Judith, jouée par l’ensorcelante Claudia Cardinale. Elle-même vit en concubinage avec un catholique de basse condition, le cordonnier Cornacchia (Nino Manfredi). Mais elle est également la maîtresse du docteur Montanari (Robert Hossein), un carbonaro engagé dans la lutte clandestine. Ce dernier, accompagné de Targhini, un jeune compagnon qui vient d’être admis dans la société, est chargé d’éliminer le prince Spada, un carbonaro qui a trahi. « Seul le sang peut faire flotter la barque de la révolution » explique le médecin. L’affaire tourne mal et Spada n’est que blessé. Ses deux assaillants ont peu de chance d’échapper à la justice et se résolvent peu à peu à devenir des martyrs ; Judith tente par son amour de les rappeler à l’instinct de survie et de les inciter à fuir Rome pour sauver leur tête. Cornacchia se voit trompé par son aimée, laquelle voit en lui un couard qui, contrairement aux deux héros, subit le joug papal sans tenter la moindre résistance. Elle ignore que le petit cordonnier, que tout le monde croit analphabète, a une double identité et n’est autre que Pasquino, un vigoureux pamphlétaire anticlérical…


Montanara et Targhini sont arrêtés, incarcérés et condamnés à la peine capitale. Cornacchia tente en vain de négocier leur grâce avec le cardinal, lui proposant en échange la tête du légendaire Pasquino. Le médecin emprisonné réconforte son jeune ami : « Il est facile d’être du bon côté quand on a raison. » Ils renvoient un moine insistant qui tient absolument à recueillir leur confession pour pouvoir leur offrir l’absolution et leur éviter la perdition éternelle. Ils boiront le calice jusqu’à la lie, jusqu’à assister à l’invasion de la prison par le peuple, lequel ne demande pas leur libération mais… leur exécution immédiate. La révolution n’est pas encore pour demain. Au dernier matin, sur le chemin de la guillotine, Montanara croise le regard de Judith : « On se reverra bientôt. » « Parce que tu y crois ? » lui demande-t-elle, désespérée. « Non » répond-il sobrement.


Le film, surtout dans ses scènes nocturnes, se déploie comme une suite de tableaux de Goya. Le couvre-feu annoncé par les coups de canon, les régiments de dragons dans les rues obscures, la variole qui rôde et qui tue, les longues pèlerines des conspirateurs errant dans une Rome du XIXème siècle aux allures parfois médiévales, où les ruelles étroites côtoient les ruines du passé… La drôlerie côtoie souvent le drame, qu’il s’agisse du jeu babillard et faussement fataliste de Nino Manfredi, vrai personnage comique, ou de cette scène incongrue où on a couché Spada blessé dans un grand lit au pied d’une fontaine, à l’endroit même où il a été agressé, entouré des meubles somptueux de sa chambre à coucher. Derrière l’enjeu politique, Magni sait se montrer subtil et éviter le manichéisme, distinguant les bons et les mauvais catholiques, le moine charitable qui tentera tout pour sauver l’âme des condamnés et le cardinal qui se montrera inflexible. Au moment où la guillotine va tomber sur sa nuque, le jeune Targhini, héroïque dans son insouciance, lance simplement à la cantonnade : « Buona notte popolo ! » Et le dernier plan nous montre la même place romaine, en 1969 cette fois, avec des voitures garées contre le bâtiment et, sur la façade, une plaque commémorative : "Alla memoria dei carbonari Angelo Targhini e Leonida Montanari, che la condanna di morte ordinata dal papa senza prove e senza difesa."

David_L_Epée
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le 14 juil. 2015

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