La Première Guerre Mondiale fut certainement l’un des conflits les plus violents de l’histoire, si ce ne fut pas tout simplement le plus violent. Au cinéma, ce sont surtout les films sur la Seconde Guerre Mondiale et la Guerre du Vietnam qui sont entrés dans la postérité, et les films sur la Grande Guerre ont généralement été réalisés par des cinéastes français. Mais, même si leur nombre est moindre et leur renommée moins grande, ces films n’en demeurent pas moins bons, au contraire même. Le cynique La Grande Illusion de Renoir, le révoltant Les Sentiers de la Gloire de Kubrick, le traumatisant A l’Ouest, rien de nouveau de Milestone, sont tous les trois des modèles du genre, et Les Croix de Bois ne fait pas exception.


Il ne paraît pas trop abusif d’établir un parallèle avec A l’Ouest, rien de nouveau, tant les deux films semblent se répondre l’un l’autre. Dans les deux cas, l’idéalisme d’un jeune soldat enthousiaste est confronté à la dure réalité de la guerre. Si dans le film de Milestone, ce point est bien mis en avant, notamment à travers l’enrôlement des soldats allemands, ici nous rencontrons le jeune soldat directement sur le terrain. S’attendant à des batailles et des combats féroces, il apprend que, finalement, c’est une guerre d’attente dans des tranchées où la mort a rarement un visage. Le silence est oppressant, le danger invisible mais toujours menaçant, et rapidement, ce climat insupportable s’installe, celui d’une guerre d’usure, usant les soldats, mais aussi le spectateur.


L’atmosphère poussiéreuse et boueuse de la guerre, où la mort est omniprésente, est ici remarquablement retranscrite, et toute l’horreur et l’injustice de ce conflit sanguinaire est montrée dans son ensemble avec une grande maîtrise. Il est difficile de décrire à travers de simples mots ce que le film essaie déjà de retranscrire de son mieux. Les Croix de Bois se base notamment sur une imagerie très puissante pour atteindre le spectateur et le marquer durablement. Le premier plan, déjà, annonce la couleur, lorsque l’on voit une armée de soldats en rang se transformer en une vaste étendue de croix blanches agencées de la même manière. Dès les premiers instants, Raymond Bernard veut montrer le massacre qu’a provoqué la guerre et, surtout, donner des visages à ces innombrables croix qui jonchent désormais les cimetières militaires.


Plusieurs scènes restent particulièrement mémorables, à commencer par la toute première, mais également celle où Gilbert (Pierre Blanchar) vient se recueillir sur la tombe d’un camarade tombé, mais aussi les combats dans le cimetière, mis en scène avec un rythme d’une frénésie que j’ai rarement vue et, bien sûr, la fin, absolument terrible. Si les scènes de combats visent avant tout à faire partie de la restitution des événements ayant eu lieu durant la guerre, celles de Les Croix de Bois sont d’une authenticité rare. Raymond Bernard a insisté pour qu’elles soient filmées sur de véritables champs de bataille, et les figurants sont tous d’anciens soldats de la guerre. Pour la bataille finale, le réalisateur a choisi comme décor un cimetière. Le lieu est hautement symbolique, érigeant la violence du conflit à un tel niveau que même les morts ne peuvent dormir en paix, et qu’aucun lieu ne fut épargné par les conflits. Les scènes de bombardements et fusillade qui s’y déroulent sont d’une puissance et d’une violence également rares, mettant en scène une véritable apocalypse presque irréelle et inimaginable. « Et cela dura dix jours … »


Difficile de retranscrire ce que fait vivre le film, à travers le poids des images et sa capacité à balayer la Première Guerre Mondiale dans son ensemble avec une grande cohérence et une belle harmonie. Les Croix de Bois est un modèle de film de guerre, dans sa capacité à retranscrire l’état psychologique des soldats, à faire l’apologie de la camaraderie, à confronter les soldats à leur peur, à les faire se battre dans un véritable enfer, et à montrer à quel point cette guerre fut terrible au point de se demander comment on a pu en arriver là.

JKDZ29
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le 23 juin 2017

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