Nous rencontrons des problèmes techniques sur la partie musique du site. Nous faisons de notre possible pour corriger le souci au plus vite.

Le premier plan du film qui tombe tel un couperet donne le ton. On y voit un régiment de soldats, aligné en silence, auquel se substituent grâce à une surimpression prolongée d’un fondu enchaîné, les croix de bois de leurs futures tombes. Une lente musique solennelle accompagne la disparition de ces hommes. Il s’agit là des fameuses croix de bois du titre. Ce symbole ne quittera jamais le spectateur, et encore moins les personnages du films, faisant leurs apparitions à plusieurs reprises dans le film, notamment lors d’une scène de bataille dans un cimetière, relevant d’une absurdité sans nom, jusqu’au dernier plan du film.

Conçu à l’époque avec l’envie d’être un grand film, et ainsi rivaliser avec le cinéma étranger et tout particulièrement avec le cinéma américain et son adaptation du best-seller « A l’Ouest, rien de nouveau » de Erich Maria Remarque symbole du pacifisme allemand, adapté sur grand écran deux ans plus tôt par Lewis Milestone qui ressort lui aussi actuellement sur les écrans. Le film fait aussi penser au très beau « La Grande Parade » de King Vidor.

Il s’agissait donc ici d’une mise en place de moyens, humains, financier et technique jamais vu à ce jour dans le cinéma français. D’autant plus qu’à cette époque la Grande Guerre n’avait encore jamais été montrée telle qu’elle le sera dans ce film, de façon brute et réelle, sans aucun héroïsme, ou patriotisme. Plus dur encore, quasiment aucune archive vidéo n’existait, il était bien entendu difficile de poser une caméra sur un champs de bataille. Et c’est là, à travers sa mise en scène, que Raymond Bernard montre son audace, son ambition et sa créativité. « Les Croix de Bois » est son deuxième film parlant, ce qui rend encore plus remarquable le travail sur le son, car nouveau pour lui.
Celui-ci est impressionnant pour l’époque et l’immersion est totale, d’autant plus que ces mêmes sons, ce vacarme, est lui aussi nouveau pour les soldat de l’époque qui les ont vécus. Rien de comparable n’avait jamais été entendu. Les scènes de bataille sont assourdissantes, et nous nous retrouvons dans l’agonie des soldats. Le montage très moderne contribue aussi à ce sentiment de réalisme. Bernard utilise à plusieurs reprises l’effet de décadrage, et des plans rapprochés comme on en trouve dans les reportages d’aujourd’hui. Ces derniers sont parfois courts et vifs donnant une impression de confusion et de frénésie. A l’aide d’un simple panoramique latéral, on passe dans une église, d’une messe, à des mutilés de guerre gisant sur des brancards. Durant les affrontements la perception du temps qui n’en finit pas nous est particulièrement bien retranscrite, lors d’une séquence au milieu du film, alors qu’apparaît à l’écran un panneau, à trois reprises, nous informant que cet assaut dura dix jours. Le panneau « 10 jours» s’affiche. D’abord en minuscules puis en lettre capitales, « 10 JOURS », comme pour nous faire prendre conscience de cette accablante durée. Le film fait preuve d’une réelle force d’évocation et s’attarde à montrer ce qui n’avait jamais été montré jusqu’à présent.

Cette recherche documentaire alliée à la volonté de réalisme du réalisateur amène une véracité dans le phrasé des tranchées. Il fait par ailleurs jouer des supers stars de l’époque tels que Pierre Blanchar ou encore Charles Vanel ayant fait 14-18 qui n’ont au final plus réellement besoin de jouer, mais plutôt de revivre à l’écran un passé douloureux. D’autant plus douloureux que l’armée ayant donné son veto, permettant à la production de tourner les scènes de combats sur d’anciens champs de bataille. Il arrivait que le tournage soit interrompu pour déminage car des mines et corps remontaient régulièrement à la surface. Il est important de noter que l’histoire se déroule uniquement au front, et il n’est fait que rarement allusion à « l’arrière », qu’à travers une photo de jeune femme du soldat Demachy, des lettres d’une jeune épouse, ainsi que les bribes de conversations captées lors des retours de permission des soldats. Jamais le réalisateur ne nous tolère une trêve que le personnage ne vit pas.

Il s’agit donc là d’une œuvre qui cherche à montrer la guerre telle qu’elle a été vécue par des millions de soldat, leurs rendant un parfait hommage. Le réalisateur s’adresse tout particulièrement aux anciens combattants de cette guerre comptant sur leurs approbations comme gage de réussite artistique du film. Il sera d’ailleurs projeté en présence de certains d’entre eux, en exclusivité au Moulin Rouge qui revêtira pour l’occasion un décor chaotique de « no man’s land ».
Sa ressortie en salle et en DVD/Blu-Ray en une version restaurée par le laboratoire L’Immagine Ritrovata (600 heures de travail visuel et 120 heures de travail sonore –les voix demeurant un peu étouffées-) à l’occasion du centenaire de la Première Guerre Mondiale est l’occasion de redécouvrir cette œuvre fondatrice du film de guerre, classique du genre, injustement oubliée jusqu’alors.
LeBarberousse
7
Écrit par

Créée

le 20 nov. 2014

Critique lue 598 fois

3 j'aime

LeBarberousse

Écrit par

Critique lue 598 fois

3

D'autres avis sur Les Croix de bois

Les Croix de bois
Sergent_Pepper
8

Une périlleuse histoire du temps

Adapté du roman de Raymond Dorgelès paru en 1919, Les Croix de bois est en un sens le versant français d’À l’ouest rien de nouveau : le récit de la Grande Guerre par une jeune recrue, venue...

le 28 mai 2018

23 j'aime

Les Croix de bois
GuillaumeRoulea
8

"In Memoriam"

Les commémorations du centenaire de « la Grande guerre » ont permis à ce grand classique du cinéma français de sortir du relatif « oubli » dans lequel il était injustement tombé...

le 1 juin 2016

22 j'aime

3

Les Croix de bois
Plume231
7

Un tableau vériste de ce conflit et aussi un bel hommage aux "poilus" !!!

Moins puissant que LE grand film sur la Guerre 1914-1918, avec "Les Sentiers de la gloire", "À l'Ouest, rien de nouveau", "Les Croix de bois" est une oeuvre qui abuse un peu de la surimpression pour...

le 4 août 2014

18 j'aime

3

Du même critique

The Voices
LeBarberousse
5

Nice film... "In the back"

Ça faisait un moment que l’on n’avait pas eu de nouvelles de Marjane Satrapi, réalisatrice récompensée à Cannes et nommée aux Oscars pour l’adaptation de sa BD « Persepolis ». Il y a eu depuis le...

le 11 mars 2015

26 j'aime

6

Sea Fog : Les Clandestins
LeBarberousse
7

Chronique d'un naufrage annoncé

Depuis ces vingt dernières années des réalisateurs tels que Park Chan-Wook, Kim Jee-Woon, Na Hong-Jin, Hong Sang-Soo, Lee Chang-Dong, Kim Ki-Duk, Im Sang-Soo ou Bong Joon-Ho pour ne citer qu’eux ont...

le 10 nov. 2014

23 j'aime

1

À trois on y va
LeBarberousse
6

Amour humaniste

Le nouveau film de Jérôme Bonnell, « À trois on y va » semble être sur le papier tout ce qu’il y a de plus balisé en matière de comédie romantique française actuelle. Mais c’est très vite que l’on se...

le 13 mars 2015

17 j'aime

1