Le Vrai Monstre N'Est Pas Toujours Celui Qu'On Croit

Avant de commencer ma critique sur "Jaws", je tiens à préciser que le requin est mon animal préféré. Depuis tout petit, je suis absolument fasciné par ce poisson. Je pourrais passer des heures et des heures à regarder des documentaires animaliers à son sujet et fantasmer sur ces magnifiques créatures préhistoriques, ces maîtres des mers et des océans qui sont absolument indispensables à notre survie sur cette planète. Et mon requin préféré est sans surprise le grand requin blanc, cette puissance que la nature a engendré et dont on ignore encore tant de choses. D'ailleurs, j'espère un jour pouvoir en voir un (ou plusieurs) de mes propres yeux.


Troisième long métrage de Steven Spielberg sorti en 1975, "Jaws" est l'adaptation du roman éponyme de Peter Benchley qui signera le scénario en compagnie de Carl Gottlieb. Le casting est composé de Roy Scheider, Robert Shaw et Richard Dreyfuss dans les rôles principaux. L'histoire se passe pendant l'été sur l'île d'Amity. Martin Brody, le chef de la police, découvre sur la plage les restes du corps mutilé d'une jeune femme. Pour lui, cette mort est due à l'attaque d'un requin. Il décide alors d'interdire l'accès aux plages mais se heurte au refus du maire, qui voit cette décision comme étant très néfaste d'un point de vue économique avec le début de la saison estivale et l'arrivée des touristes. Pendant ce temps, le requin continue à semer la terreur...


"Jaws" est le film incontesté en matière de requins, celui qui sera quasiment impossible à surpasser, voire à égaler. En même temps, quand on voit ce qu'est devenu le genre du film à requins ces dernières années, c'est environ 95% de gros nanars donc ça ne risque pas d'arriver. "Jaws" a la particularité d'être considéré comme étant le premier blockbuster de l'histoire du cinéma. Ceci est vrai même si certains films d'avant les années 70 pouvaient aussi être qualifiés de blockbusters de par leurs budgets colossaux. Mais "Jaws" a totalement changé la donne dans le paysage du cinéma et a marqué le début d'une nouvelle ère. Il donnera aux gens l'envie d'aller au cinéma pendant l'été. Car à l'époque, les choses sont claires, les gens n'aiment pas aller dans les salles obscures pendant la période des beaux jours. Les films qui sortent à cette période sont des films plutôt à petit budget dont les studios veulent se débarrasser au plus vite. Les grosses productions sont elles, privilégiées pour sortir pendant l'hiver. Mais un film va venir bousculer la tendance en sortant fin juin 1975 et pulvériser les records de recettes. Ce film est bien évidemment "Jaws" réalisé par Steven Spielberg, encore très jeune réalisateur à l'époque (moins de 30 ans). Ce film lui permettra d'asseoir totalement sa notoriété auprès du grand public mais aussi de Hollywood. Et j'ai envie de dire que cela est totalement justifié.


Même en revoyant le film aujourd'hui, c'est-à-dire 40 ans après sa sortie, je constate qu'il n'a rien perdu de sa puissance. La première chose que je voudrais évoquer est cette première scène du film combinée à la somptueuse composition de John Williams. Avec un des thèmes les plus connus et les plus terrifiants de l'histoire du cinéma, pourtant très minimaliste de base avec cette répétition crescendo de deux notes, un Mi et un Fa. Mais avec seulement ces deux notes, le compositeur arrive à nous faire froid dans le dos et à nous faire ressentir la présence de l'animal. John Williams est un génie.


La musique a une part très importante dans la mise en scène de Spielberg. Une mise en scène qui vient puiser dans plusieurs genres cinématographiques tels que le thriller, l'épouvante-horreur et même beaucoup plus indirectement le fantastique. Avec un scénario de base assez simpliste, le film est sublimé par les talents de réalisation de Spielberg. Comme dans la première partie du film où il arrive à faire naître en nous la peur sans jamais nous montrer le prédateur dans toute sa splendeur. On ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec "Duel", ne serait-ce que par les codes de narration utilisés. Et comme avec "Duel", on pense aussi très fortement à Sir Alfred Hitchcock. Mais Spielberg ne fait pas que simplement s'inspirer de Hitchcock et arrive à imposer sa propre patte. Le film jouit d'une efficacité sans faille conjuguée à un vrai sens du rythme et du suspens.


Les acteurs jouent parfaitement bien. Le trio Scheider/Shaw/Dreyfuss fonctionne à la perfection. On a des personnages très approfondis avec chacun leur facette. Roy Scheider dans son rôle du chef de la police, père de famille qui veut avant tout s'assurer de la sécurité des gens et qui va devoir faire face à sa peur de l'eau. Robert Shaw en vieux baroudeur des mers totalement obstiné à chasser le requin et Richard Dreyfuss en scientifique fougueux absorbé par sa fascination et son expérience concernant le gros poisson. Ce trio sera mis à rude épreuve lors de la deuxième partie du film dans cette sublime chasse à la baleine revisité à la mode requin. Car oui, concernant cette traque magistralement orchestré, on pense tout de suite au classique "Moby Dick", avec Robert Shaw qu'on pourrait comparer au capitaine Achab. D'ailleurs, comment ne pas évoquer son sublime et terrifiant monologue sur le carnage de l'USS Indianapolis. En un mot : brillant.


Place maintenant à la star du film. Le grand requin blanc prénommé Bruce pour l'occasion. Ce requin mécanique qui certes peut nous paraître si faux quand on le voit. Personnellement, je le trouve très bien foutu et je trouve même qu'il se bonifie avec l'âge. Et puis franchement, il n'a rien à envier à tous ces requins numériques que l’on voit dans la plupart des films depuis une dizaine d'années. D'ailleurs, je trouve que c'est un des rares défauts du film mais je n'ai pas trop apprécié le fait de filmer de vrais requins pour certaines séquences et de les mélanger à notre monstre mécanique. Ça donne une certaine perte de repères par rapport à Bruce et on perd beaucoup dans l'immersion. Car oui, rien ne vaut le requin mécanique. Et cela permet aussi d'avoir une meilleure interprétation et une certaine pertinence quant à l'idéologie que veut insuffler le film.


Car différents regards ont été portés sur ce film. Le premier point est que beaucoup de personnes à l'époque ont pris "Jaws" au premier degré et ont considéré le film pour ce qu'il n'est pas. C'est-à-dire comme un film traumatisant et seulement traumatisant, ce qui a conforté dans l'esprit de ces gens la mauvaise réputation du requin. Une certaine rancœur est aussi née envers cette espèce qui est tout sauf un mangeur d'hommes. Le film a peut-être eu un certain impact qui a transcendé la réalité pour en imposer inconsciemment une autre. Voilà malheureusement ce que pas mal de spectateurs ont perçu du film et n'ont pas voulu aller plus loin que cette vision tellement réductrice. Et en soit, c'est vraiment dommage car le cinéma sert aussi dans un sens à interpréter certaines choses qu'on ne verrait pas de prime abord.


Car "Jaws" n'est absolument pas un film anti-requin, loin de là. Si c'était le cas, je détesterais ce film. Il faut savoir que le requin tue en moyenne 10 personnes par an et ces morts sont dues généralement à cause des blessures provoquées par l'animal qui n'ont pas été soignées à tant. Donc les requins mangeurs d'hommes, désolé mais ça n'existe pas. À titre de comparaison, le moustique est responsable de 800 000 décès par an. Il existe environ 500 espèces différentes de requins, et sur ces 500 espèces, seulement 5 représentent un potentiel danger pour l'homme. D'ailleurs, au risque de casser un mythe, sachez que la nourriture préférée des requins n'est autre que le plancton ! Dingue, non ? Voilà, c'était la petite mise au point scientifique. Et derrière, l'homme tue en moyenne 100 millions de requins par an ! Donc entre qui de l'homme et du requin est le monstre, je vous laisse deviner la réponse. Mais "Jaws" n'est en aucun cas responsable de la mort de tous ces requins. Si "Jaws" n'existerait pas, le nombre de requins tués par l'homme ne serait pas inférieur au nombre précédemment cité. Il en serait de même, point. Il faut savoir que la majorité de ceux qui pêchent les requins sont asiatiques. Et je peux vous dire qu'ils n'en n'ont absolument rien à foutre de "Jaws" et même de ce que les gens pensent de "Jaws" (ou même des requins en général). Ils pêchent les requins pour faire leurs soupes d'ailerons (entre autres) et basta, ça va pas plus loin. "Jaws" n'a fait que de donner indirectement une mauvaise image de l'animal à certaines personnes qui n'ont pas bien compris le film et qui l'ont pris au premier degré. Mais il n'avait aucune mauvaise intention.


C'est là que j'en viens à l'autre regard qu'on peut avoir sur le film et c'est celui que je partage et défends. J'aime Bruce. J'aime ce requin mécanique qui correspond tellement bien à la vision qu'on doit avoir de cet animal. Une vision plutôt métaphysique, si je puis dire, de cette chose qui est une représentation de la peur. La peur la plus enfouie qui se trouve chez l'homme, qui se trouve en chacun de nous. La peur de l'inconnu aussi car l'homme a naturellement peur de ce qu'il ne connait pas et donc de ce qu'il ne comprend pas. Bruce n'est pas un requin et encore moins un être vivant. Bruce est une entité comme pouvait l'être le camion dans "Duel". Une entité monstrueuse dénuée d'humanité et un véritable démon des profondeurs. La présence de Bruce en elle-même est surnaturelle. Voilà ce que représente "Jaws" pour moi.


Pour conclure, malgré un tournage infernal et chaotique qui restera dans les mémoires de Hollywood, Steven Spielberg a réussi à réaliser un des plus brillants films qui soient. Une œuvre somptueuse qui sera à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire du cinéma.

Paplard
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le 16 juin 2015

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