Encore lui, le plus grand cinéaste précurseur, qui arrive encore au sommet de son art et à nous proposer une nouvelle vision de ses histoires. Cette fois, il met en évidence un duo charismatique et ô combien symbolique : Les soeurs Gish (dont Lillian est la muse de Griffith, signant dans plus de 6 de ses films).
Le scénario met en avant deux orphelines, soeurs de coeur, qui sont embarquées malgré elles dans les tourments de la Révolution française. Séparées par un destin cruel, elles tentent de survivre dans un milieu austère. La première, aveugle, doit faire face à la méchanceté d'une mendiante alors que la seconde subit les violences d'un milieu aristocratique virulent. Griffith s'empare donc des éléments de l'Histoire, à savoir la Révolution française pour proposer un film d'émotion et de propagande.
Et il s'en empare avec parcimonie et classe ! Aucune autre période n'aurait pu mieux lui convenir, celle-ci apportant du lyrisme et un air frais au réalisateur. D'autant plus que Griffith est devenu un maître en reconstitution historique après ses passages remarqués en 1915 (Naissance d'une nation) et 1916 (Intolérance). Et la patte du génie a réussit un tour malicieux : propulser une histoire française dans l'encre américaine. Un paradoxe qui a payé car ce film apporte un brin de modernité et de puissance.
Par le visuel, Griffith va donner vie aux cartons, qui ne sont plus qu'une simple fonction explicative mais qui donne un vrai sens au dialogue. Ils apportent même un vrai dynamisme au récit, induisant une sorte d'ironie dramatique. Mais également, Griffith fournit des apartés étonnants, regorgeant de critique et de subjectivité face à l'Amérique qu'il connait.
Le cinéaste se sert donc d'une époque afin de promouvoir son récit, et se contrefiche allègrement des anachronismes ou de l'espace spatio-temporel lié. Il propose même des caricatures portées à leur paroxysme concernant Robespierre, le Diable et Danton, le Christ. Face à ces deux caricatures, Griffith enseigne une propagande pure et dure et met en parallèle son film aux États-Unis qui lui sont contemporains. Par exemple, dans la cruauté des aristocrates et la confiscation de la démocratie par des révolutionnaires hypocrites, il faut clairement voir la menace des « bolchéviques et des anarchistes ". Un réel parti pris du réalisateur.
Ce qui est intéressant toutefois, c'est la focalisation sur les héroïnes et leur entourage. En effet, bien qu'il prenne parti, il dénigre les deux situations, que ce soit l'aristocratie ou le Tiers-État.
Côté technique, Griffith s'accorde à son film dans les moindres détails. Il joue toujours sur son montage parallèle qu'il confectionne depuis une demi-décennie, passant aisément d'une soeur à l'autre. De plus, il alterne plans d'ensembles aux gros plans, donnant du rythme à l'action. Il plonge tout son récit dans le mélodrame, genre qui l'affecte particulièrement depuis Le lys brisé. Ce sentiment est provoqué par la mise en scène, jouant sur les plans serrés des deux actrices afin de ressentir détresse et empathie.
Ce film marquera un trait sur la carrière du cinéaste qui sombrera peu à peu dans l'anonymat mais restera LE réalisateur des premiers temps, celui qui va concocter le langage cinématographique si répandu aujourd'hui et qui va promouvoir les premiers superproductions et les films à grande échelle.