The Ten Commandments (Cecil B. de Mille, U.S.A, 1956, 3h42)

Cecil B. de Mille était considéré dans les années 1950 comme le plus grand metteur en scène alors en activité à Hollywood. Pour prendre conscience de la position qu’il avait à cette période, il suffit de prendre en exemple la séquence d’ouverture de ‘’The Ten Commandments’’, son ultime réalisation.


Une grande scène, au milieu un micro sur pied, en arrière-plan d’énormes rideaux majestueusement ondulés. Un vieil homme en sort et se dirige vers le centre de la scène. C’est Cecil B. de Mille qui vient présenter son œuvre. D’une démarche assez peu orthodoxe, comme il le dit lui-même, il veut s’assurer que l’audience ait les clés en main pour comprendre la portée de son œuvre, en expliquant sur quelles sources elle se base.


Car cette histoire qui nous est conté reprend la majeure partie du ‘’Livre de l’Exode’’, la seconde partie de la Bible, du chapitre 1 au chapitre 43. Cependant elle prend également sa source dans d’autres travaux, alors plus récents, et des sources antiques qui ont permis d’étoffer le récit. Il y a ainsi une volonté presque historique, à la sauce hollywoodienne attention, pour présenter le métrage.


Souvent considéré à tort comme un remake de la version de 1923, c’est là une grossière erreur. En effet, le film ne reprend absolument pas la même structure narrative, ne fait pas intervenir l’Amérique de 1956 à l’écran, du moins pas directement. Il n’y a pas de parallèles fait entre le récit biblique et la nation, se présentant dès lors comme une œuvre bien plus universelle.


Là où la version de 1923 faisait dans son introduction référence à l’après Première Guerre mondiale, dans cette version de 1956 la résonnance se fait implicitement avec la Seconde Guerre mondiale. Et même au-delà, à l’obscurantisme de l’autoritarisme et du fascisme, les deux poisons qui ont rongées si longtemps le XXème siècle. Par le prisme du récit biblique, il est évident que de Mille questionne notre monde, c’est même parfois trop évident.


Néanmoins, ça ne semble absolument pas être l’idée principale, puisque le mythe est adapté de la plus universelle des manières, avec une démonstration épique qu’il est possible d’apposer à de nombreuses situations. La fin de l’Empire Romain, la chute de Constantinople, la disparition des civilisations précolombiennes, la Révolution Française, et bien entendu les deux guerres mondiales du XXème siècle, et leur déplacement de population. Mais au trouve encore aujourd’hui des exemples, dont le plus criant est certainement la situation en Syrie.


C’est ainsi par la représentation d’une civilisation en déclin, ayant perdu de vu toutes notions d’humanité, aveuglée par la richesse et le pouvoir suprême. Traduite ici par la construction d’une cité pharaonique, avec une statue du souverain des plus gigantesque. Une référence au culte de la personnalité du chef. Construite au mépris de la vie humaine, avec l’exploitation des Juifs persécuté, réduits à l’esclavage en Égypte, où il son présent depuis plus de 400 ans.


Il y a ainsi une société en pleine déréliction, pouvant correspondre à n’importe quelle civilisation dont l’Histoire et l’Archéologie ont la trace. Et la présence d’un peuple placé en bouc émissaire, permettant les accusations de tous les maux de la société. Le parallèle avec l’Allemagne des années 1930 semble évident, sans pour autant être confirmé. La situation pouvant se prêter à tellement d’autre cas similaire.


Puis, il est à prendre en compte une autre vision, plus contemporanéiste, et sans doute le résultat de la période à laquelle est sortie le film, qui est une interprétation de la personnalité de son metteur en scène. En effet, en 1956, les États-Unis sortent tout juste de la Chasse aux Sorcières, persécution des communistes où sympathisants, débutée à la fin des années 1930, qui après une pause durant la Seconde Guerre mondiale repart de plus belle en 1947 avec les ‘’Dix d’Hollywood’’.


Puis au début des années cinquante débarquent les excès du mccarthysme, du nom d’un obscur sénateur du Wisconsin, livrant une croisade pour faire tomber tous les cocos’ du pays. En s’attaquant particulièrement à Hollywood, haut-lieu du libéralisme, terreau fertile pour les idées marxistes. C’est l’époque de la Liste Noire, durant laquelle des technicien.nes, des scénaristes, des réalisateurs, des comédien.nes, vont avoir des difficultés à trouver du travail.


Parmi les anticommunsites les plus virulents, et des plus actifs, se trouve Cecil B. de Mille. Membre de la très conservative ‘’Motion Pictures Alliance for the Preservation of American Ideals’’, il se rendit régulièrement à Washington pour dénoncer ou confondre des individus suspectés de flirter avec le communisme. Au côté d’autres artistes comme Walt Disney, un certain Ronald Reagan, ou bien encore John Wayne.


Cecil B. de Mille mit sa notoriété à contribution pour endiguer la prolifération du Communisme sur le territoire. Défenseur acharné des valeurs et des traditions de sa nation, ses vues politiques, comme religieuses, se mêlent au grand mythe de la civilisation américaine. Ce qui peut se percevoir dans ses œuvres, même dans ses premiers cours métrage. C’est un personnage éminemment politique, qui s’est toujours servis de ses œuvres comme des paraboles, afin de diffuser l’idéologie qu’il pensait être juste.


Cela ne manque pas avec ‘’The Ten Commandments’’. Mais au crépuscule de sa vie, c’est un Cecil B. de Mille moins corrosif qui met en scène ce qui restera sa plus grande œuvre, celle qui définit une vie. Il y réside absolument tout ce que le réalisateur à de plus génial, en aseptisant grandement tout ce qu’il pouvait avoir de plus détestable. Ainsi, au lieu d’en faire une grande fresque anticommuniste, il préfère lancer un appel du cœur universel, sur la liberté et la paix.


Une démarche des plus chrétienne, qui prône le pardon, à tel point qu’au casting se trouve Edward G. Robinson. Ce comédien très populaire pour ses rôles de méchants dans les années 1920 et 1930, fût touché de plein fouet par la Chasse aux Sorcières, et dû témoigner à Washington. Alors sous le coup d’une enquête sur ses liens avec le parti communiste américain. Durant les années 1940 et début des années 1950, sa carrière connue un gros passage à vide.
Ironiquement c’est chez de Mille que sa carrière connaît un nouveau tournant. Incarnant le traitre Dathan, il retrouve ici un rôle comme il les affectionnait tant, mais qui peut laisser un peu interrogateur, à l’ombre de son rôle dans la Chasse au Sorcière et la nature de Dathan, un ennemi intérieur du peuple Juif. Qui s’assimilerait parfaitement a la Peur Rouge.


Même le choix de Charlton Heston dans le rôle principal, peut surprendre. Lui qui en 1956 était un grand défenseur des causes sociales, comme l’obtention des Droits Civiques pour tous. Mettant même son image au service de campagnes de sensibilisations pour le contrôle des armes à feu. Avant de devenir vieux, et switcher vers le républicanisme conservateur, au point de devenir président de la NRA. Mais lorsqu’il incarne Moïse, sa personnalité dans la privée est en accord avec le personnage et le message qu’il véhicule. Lui-même pratiquant, il offre une performance exaltée, qui encore aujourd’hui semble difficile à égaler.


Cecil B. de Mille, également narrateur du récit, met en scène avec ‘’The Ten Commandments’’ un épique biblique insurpassable. De par les moyens mis à disposition, que ce soit dans les décors gigantesques, qui offrent naturellement une ampleur incroyable, où dans les moyens humains, le nombre de figurants est absolument vertigineux. La scène du départ d’Égypte est en ce sens magistralement épique.


D’une richesse incommensurable, avec de la magie, du mysticisme, de l’horreur, du drama, de l’action, de l’optimisme, et un héroïsme divin, l’œuvre de Cecil B. de Mille réinventait ici totalement le film biblique. Ce sera d’ailleurs la dernière grande production hollywoodienne sur le sujet. Par la suite aucune autre ne parviendra à l’égaler, ce qui fait qu’aujourd’hui, plus de six décennie après sa sortie, il reste un objet hors du temps. D’une grande modernité dans son visuel et ses effets spéciaux d’époques, comme dans les thématiques qui le parcourent.


‘’The Ten Commandmants’’ rapporta 63 millions de $, ce qui correspond actuellement à 580 millions de $. Il était jusqu’en 2004 le plus grand succès pour une production biblique. Ce n’est pas là un hasard, tellement se dégage de ce chef-d’œuvre une aura intemporelle. Ayant su capter à la perfection le suc même du récit biblique, pour en extraire toute la notion de mythe, afin d’en livrer un récit éminemment universel.


Les moments de bravoures sont nombreux, comme les séquences spectaculaires servit par des comédiens impliqués comme rarement. Le rôle difficile de Ramsès II, qui n’est pas issu d’une réalité historique, devient sous les traits de Yul Brynner un personnage absolument terrifiant. Un type excessivement imbu de lui, prêt à faire passer son orgueil avant le bien être du peuple.


Il est la représentation générique de n’importe quel despote, dans une œuvre sorti la même année que la mort de Josef Staline. Se dégage ainsi du personnage une forme de réplique, qui au milieu du XXème siècle trouve des évocations très présentes. Alors que le temps des dictatures touche à sa fin en Occident, ‘’The Ten Commandments’’ condamne ces régimes, souvent aveuglés par la grandeur de leaders et du culte de la personnalité.


Il y a donc un rejet de l’obscurantisme sous toute ses formes, qui dans l’Amérique des années 1950 fût une crainte. Notamment par la popularité que rencontrait le communisme dans la jeunesse. Mais un régime autoritaire, avec un culte du chef, est aux États-Unis une chose censément impossible, mais fortement redoutée. Dans l’Amérique de Dwight D. Eisenhower, c’est sans arrêt l’Americain Way of Life qui est mis en avant. Et non le héros de la Seconde Guerre mondiale.


‘’The Ten Commandments’’ reflète ainsi à la fois la peur de Cecil B. de Mille de voir l’idéal américain phagocyté par un régime autoritaire. Dans la civilisation égyptienne de Ramses Il, il est possible d’y voir l’Amérique de Roosevelt et la politique socialiste d’un despote, qui a fait craindre à l’émergence du communisme. Et le peuple Juif, esclave de la folie d’une civilisation prend son destin en main, menée par un leader charismatique, pour s’en tourner vers la liberté.


La dernière séquence de l’Exode étant ainsi assez équivoque, car le film ne fait absolument pas l’impasse dessus. Alors que Moïse part 40 jours et 40 nuits dans la montagne à la rencontre de Dieu, les Enfants d’Israël se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ils s’adonnent à un rite païen, alors qu’un veau en or est construit pour leur servir de divinité, à laquelle ils sont prêts à sacrifier une vierge.


Se vautrant dans une énorme orgie au doux relent d’eschatologie, le peuple Hébreu perd de vu sa quête, rongé par les divisions internes. Puis Moïse revient et sépare les impies des croyants, ceux qu’il guidera vers le pays de Canaan. Il ne faut pas oublier que l’histoire de l’Amérique est en grande partie inspirés des évènements biblique, où le pays de Canaan est parfois comparé au continent vierge colonisé par les exilés d’Europe.


Dans la philosophie de l’Amérique il y a cette idée que cette communauté est un phare, ayant pour objectif d’inonder le monde de sa lumière. Afin d’y imposer son système, jugé comme parfait car il fût donné directement de la main de Dieu (les dix commandements = La Constitution). Il prône la liberté (le peuple américain = les Hébreux), où la nature de prophète est assimilée à l’idée même de nation (L’Oncle Sam = Moïse).


Dès lors il est possible de percevoir, dans les détails de cette production, à quel point c’est une œuvre qui dépasse les notions de progressiste où de conservateur, puisque c’est avant tout un film qui parle d’une chose et une seule : Un peuple uni dans sa quête de liberté. Point barre.


Dans une démarche oscillant entre l’historique et le mythique, voir le mystique, figuré par un visuel d’une grande profondeur, avec ses immenses décors, apparait une volonté établie de mettre en scène une idée du réalisme. Ainsi Moïse dans le désert, et ses rencontres avec Dieu, font que son visage change, il vieillit, il s’abîme, à mesure qu’il accepte peu à peu de devenir le réceptacle de Dieu, et d‘accomplir pour lui la fuite des Hébreux du joug des Pharaons.


Chef-d’œuvre intemporel, bien plus riche que son simple message biblique, en y noyant des thématiques et des problématiques qui sont toujours d’actualités, ‘’The Ten Commandments’’ est une œuvres clés de l’Histoire du cinéma. Cette épopée biblique aux moyens extraordinaires, permet comme ces vieilles cathédrales, de prendre la mesure, ou la démesure d’une production à la hauteur du mythe dont elle s’inspire.


Renforcé par une nature testamentaire, puisque sur le tournage Cecil B. de Mille fût victime d’une crise cardiaque. Âgé de 73 ans il ne s’en remit jamais tellement, jusqu’à sa mort en 1957. Personnage ambiguë, aux convictions politiques et religieuses rigoureuses, Il tire sa révérence avec une œuvre universelle teintée de messages d’amour, de paix et de liberté. C’est ainsi par la grande porte qu’il quitte la scène, en nous laissant à disposition ce chef d’œuvre hors du temps, virtuose, géniale et inaltérable.


-Stork._

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le 24 avr. 2020

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