SensCritique a changé. On vous dit tout ici.

Nathan Ambrosioni est un OVNI, il faut bien remettre en place le personnage, jeune réalisateur français d’à peine 26 ans qui a su démarrer sa carrière dès ses 18 ans (!!) avec Les Drapeaux de Papier en 2018 ; sans parler de ses premiers longs-métrages amateurs, qu’il a respectivement réalisé à 14 et 16 ans (!!!). Loin de jouer dans la cours du cinéma de genre, Ambrosioni se tourne désormais vers des thématiques plus intimes et délicates, que ce soit la réinsertion, la vie de famille et ici, plus précisément, la maternité. Pourtant avec Les Enfants Vont Bien, le ton solaire ou à minima joyeux de ses précédentes œuvres s’estompe, autant dans l’image que le sujet : les disparitions volontaires. On y suit en premier lieu les retrouvailles entre Jeanne (Camille Cottin) et Suzanne (Juliette Armanet), sœurs pourtant très distantes depuis un sacré moment, celle-ci est venue, semble-t-il dans la hâte, avec ses enfants. Après une soirée improvisée assez réjouissante, Jeanne découvre, le lendemain, que sa sœur s’est évaporée. Elle qui se voulait être une femme entreprenante et indépendante fait soudainement face à la charge de cette disparition et le poids que représente ces enfants.

.

.

J'ai par ailleurs réalisé une interview d'Ambrosioni, on revient sur sa filmographie et son parcours hors-normes, allez écouter ça svp

.

.

Brisons la glace tout de suite, ne cherchez pas dans Les Enfants Vont Bien une quelconque dimension thrilleresque, il n’y a pas de suspense sur la raison de la disparition de Suzanne, dont on assume le caractère inexplicable, malgré quelques bribes d’informations, qui tendent néanmoins le récit du début à la fin. A la manière de La Nuit du 12 et son crime non élucidé, Ambrosioni décide de capter les conséquences de cet événement pour en dresser un portrait plus intime (et moins social/politique que chez Dominik Moll). La question est bien moins de savoir si Jeanne va retrouver sa sœur – qui pourrait elle-même redevenir mère et retrouver une forme de statu-quo – que de savoir comment elle va composer avec cet événement tragique, pour elle, et son entourage. Loin d’être une simple idée, un concept, Les Enfants Vont Bien explore via cette prémisse plusieurs types de maternité et même l’apprentissage de cette dernière par Jeanne. Le portrait que fait Ambrosioni de ses personnages est passionnant, car si le jeune cinéaste parle de son film comme délicat, c’est aussi un terme que l’on pourrait associer à son récit. Le réalisateur joue constamment au funambule quant à sa représentation de la famille, de l’enfance et l’image conventionnelle de la mère ; il arrive à la fois à en montrer les nuances tout en évitant un résultat mielleux ou caricatural. Le long-métrage n’est jamais tendre avec ses personnages, et fait traverser aux enfants comme à cette mère de substitution, un parcours du combattant, une crise existentielle face à un acte tragique et insensé.

.

Il faut néanmoins dire que certaines situations semblent, un peu sortir de nulle part, ce qui laisse parfois frustré.e de voir qu’un tel niveau de rigueur ne s’applique pas à certains instants, notamment dans l’exploration de plusieurs personnages secondaires (comme Guillaume Gouix), ce qui est laissé hors champ ou non, à la manière du passé des deux sœurs. C’est d’autant plus dommage, qu’à part ça, le long-métrage s’avère terriblement fort et dense, explorant avec une sincérité et facilité désarmante les conséquences de cette disparition volontaire. Les Enfants Vont Bien établit un spectre très large, tous les personnages sont gris et faits de nuances qui les rendent aussi humains qu’attachants. Ce, d’autant plus que le réalisateur refuse constamment le tire-larmes, au gré de sa narration étirée sur plusieurs mois, il les caractérise sous toutes leurs failles, avec néanmoins, un attachement hors-normes pour ces derniers : il aime ses personnages, et ça se sent. Cela rend d’autant plus fort, le choix de ne pas accorder d’importance scénaristique pure et dure à la disparition de Suzanne, de simplement faire accepter aux personnages et spectateurs son choix, de se détacher totalement d’elle à partir du moment où sa décision est prise ; bien que son introduction et son acte laissent une empreinte indélébile sur le reste du film, la laissant agir comme un fantôme. En un mot, Ambrosioni filme le désarroi, et avec une grande habileté, sans la moindre complaisance. Le désir de savoir le pourquoi du comment s’estompe ainsi, et l’empathie envers cette mère de substitution et ces enfants prend le relais, au gré d’une tragédie familiale aussi dure que douce.

.

Ambrosioni a toujours su traiter de cas plus ou moins marginaux, de personnages cassés ou qui pensaient, dans leur quotidien, s’épanouir. Sauf qu’au lieu de multiplier les scènes ravageuses, de faire du mélodrame puissance mille, ce dernier s’évertue à porter un regard digne, tourné vers l’espoir, l’évolution, la reconstruction et ici, d’une certaine manière, le deuil. L’ultime séquence, pas très subtile dans l’idée, laissant littéralement voir des personnages ranger leur vie, tourner la page, est toutefois magnifié par sa simplicité. Plus que d’aimer ses protagonistes, Ambrosioni fait confiance à ses spectateurs, il leur laisse, sans surligner ses effets d’écriture, un cadre fin où déambulent ses personnages, avec chacun leur caractère, leur manière d’appréhender la situation, sans pour autant choisir de camp, en préférant témoigner de la pluralité des psychologies. Ce climax émotionnel en devient d’autant plus ravageur, qu’il est non seulement préparé, presque évident, et déploie des émotions universelles dépassant la simple prémisse du film. On ne peut qu’être sidéré de la simplicité d’exécution du film, qui est justement la clé à votre futur chialade : un témoignage étalé sur plusieurs mois qui refuse le tire-larmes tout en embrassant le tragique, mais en lui apportant une grandeur d’âme qui désarçonne.

.

.

.

.

.

On a beau l’appeler « Le Xavier Dolan Français », Nathan Ambrosioni prend une voie moins « esthétisante » que du côté de son confrère québécois, et sans dire que l’un est meilleur que l’autre, on sent, avec ce 3e long-métrage (ou 5e en comprenant Therapy et Hostile) une prise en maturité hallucinante. Peu d’effets de style, une mise en scène faussement en retrait, laissant durer les plans pour que les comédiens s’expriment avec justesse en restant dans une forme d’élégance, voire d’exigence, assez inattendue. Les Enfants Vont Bien suit le quotidien de ses personnages, parfois, en quasi temps réel, le réalisateur joue, en premier lieu, la carte de la simplicité pour laisser les nuances s’installer, ainsi qu’une atmosphère vaporeuse, mélancolique et pleine de spleen qui rappelle sans cesse le fantôme de Suzanne. Le cinéaste utilise le champ-contrechamp à la perfection, dans un modèle d’une grande simplicité, encore, mais lui permettant de créer des moments forts au montage, par rapport à ce qu’il veut montrer vis-à-vis des réactions de ses personnages. Une scène au restaurant, entre Camille Cottin et Monia Chokri incarne parfaitement ça, mêlant un cadrage « classique » et d’énormes gros plans qui sont pourtant insérés avec plus de subtilité que ce que la forme peut laisser prétendre. Tout du moins, le cinéaste parvient à faire mouche constamment, à rendre signifiante, sans être tape-à-l’œil, sa mise en scène, qui peut paraître lourde, demeurant d’une légèreté inattendue : la caméra flotte et comme l’écriture, s’attarde et s’attache aux personnages avec une immense précision.

.

Ce qui est fantastique avec Les Enfants Vont Bien, c’est que Nathan Ambrosioni explore, rien que dans son travail du cadre, la psychologie de ses personnages. Bien que son film soit assez verbeux, il n’est jamais littéraire, et c’est la mise en scène qui dit très souvent l’essentiel. Encore une fois le long-métrage est dépouillé, et pourtant il est méticuleusement mis en scène, car ses effets simples (travelling, gros plans, plans fixes, zooms) deviennent non seulement signifiants scénaristiquement, mais surtout dévastateur émotionnellement. Le ton du film, constamment mélancolique, pourrait rendre le visionnage assez insoutenable, étant donné la dureté du thème, sauf que justement, la mise en scène d’Ambrosioni parvient à dépasser ce ton « plus gris que la vie ». Le cinéaste travaille toujours à merveille la lumière dans ses films, rendant ses deux précédentes œuvres solaires, ici, cette lumière est salvatrice, parvenant à offrir à ce récit d’une certaine dureté, une douceur inouïe : une incarnation de l’espoir. D’autant qu’encore une fois, tout ceci est fait humblement, sans grands élans esthétiques, mais avec une parfaite concordance entre ce que le film raconte et parvient à faire ressentir. L’ouverture du film, introduisant Suzanne et ses enfants, devient bouleversante (au moins à posteriori) pour peu qu’on sache dans quelle histoire on embarque : une mère aimante comme il en existe rarement, d’une grande complicité avec ses progénitures, le tout accompagné de la lumière du soleil, qui donne à cette image une aura mélancolique, une bombe émotionnel à retardement

.

Ce que sublime en tout cas parfaitement Ambrosioni, c’est son casting, qui devient presque l’une des parts les plus importantes autour de la réussite esthétique du film. Je ne suis pas un inconditionnel de Camille Cottin, loin de là même, mais bon dieu que sa performance est juste, elle incarne tout ce que cherche à proposer le réalisateur : de la subtilité, de la nuance et énormément de sensibilité. Le piège du plan fixe/séquence, c’est de davantage mettre en valeur le comédien que le personnage, l’idée de mise en scène plutôt que l’émotion qu’il doit susciter. Cottin évite justement le piège de la performance, son jeu est en parfait équilibre avec la mise en scène ; l’un ne supplante pas l’autre et vice-versa. Ce qui se dégage de Les Enfants Vont Bien, c’est dès lors sa finesse et son élégance : sa capacité à ne jamais en faire des tonnes, mais de tout de même arriver à des résultats prodigieux. Monia Chokri et Juliette Armanet (dont le rôle est nécessairement très court) sont au même niveau de réussite, elles parviennent à mettre en avant leur talent sans jamais tout faire déborder ; à part en ce qui concerne l’amour, qui transparaît en chaque personnage, faisant gonfler le cœur du spectateur. Elles créent un vrai contraste avec le personnage de Camille Cottin, essorée par son nouveau rôle de mère, incapable sur le papier de s’occuper convenablement de ses neveux. Et les enfants, parlons-en justement ; ils s’appellent Manoâ Varvat et Nina Birman, et ce sont dès à présent d’immenses comédiens. On retrouve ce mélange d’innocence et de maturité qui transparaît notamment chez certains personnages de Kore-Eda, notamment dans Nobody Knows ou L’Innocence ; et comme chez le cinéaste nippon, si les enfants captent l’intensité du scénario et des thématiques, ils réagissent en tant qu’enfants. Une scène s’impose ainsi comme une des plus puissante du film : un appel téléphonique auquel décroche les deux gamins, et la réaction de l’un comme de l’autre, est d’une viscéralité dingue, à la fois sincère et disproportionnée, sans jamais forcer.

.

.

.

.

.

Les Enfants Vont Bien est un grand mélodrame tout en évitant quasi chacun de ses pièges : c’est un film qui perce le cœur mais qui arrive aussi à le reconstruire petit à petit, en même temps que celui de ses personnages. Le film est d’une dignité hallucinante, qui rend les personnages d’autant plus intenses et humains. Sauf que là où Ambrosioni impressionne, c’est dans son désir de mise en scène, plus calme et posée que précédemment, une sensation invisible à l’image s’installe de la première à la dernière minute : le spleen, et si la plupart des cinéastes le convoquent à l’image ou au texte, peu de films comme celui-ci arrivent à le faire ressentir intrinsèquement, et aussi intensément.

Vacherin Prod

Écrit par

Critique lue 12 fois

3
1

D'autres avis sur Les Enfants vont bien

Les Enfants vont bien

Les Enfants vont bien

le 28 août 2025

Une mère disparaît

En France, chaque année, de 4 à 5 000 personnes majeures disparaissent volontairement. Et leurs proches, comment font-ils ensuite, devant ce deuil incomplet ? Nathan Ambrosioni, 26 ans et déjà 3...

Les Enfants vont bien

Les Enfants vont bien

Mysterious Spleen

Nathan Ambrosioni est un OVNI, il faut bien remettre en place le personnage, jeune réalisateur français d’à peine 26 ans qui a su démarrer sa carrière dès ses 18 ans (!!) avec Les Drapeaux de Papier...

Les Enfants vont bien

Les Enfants vont bien

il y a 4 jours

Bouleversant

La gorge nouée, le cœur serré.
Quel beau film. Un sujet dur, violent mais abordé avec une infinie délicatesse.
Les plans, simples mais d’une grande force, accompagnent un jeu d’acteurs terriblement...

Du même critique

Moi capitaine

Moi capitaine

le 4 janv. 2024

De l'autre côté de la méditerranée

Reparti applaudi du dernier festival de Venise, le grand Matteo Garrone est de retour sur un tout aussi grand écran. Auteur de films aussi rudes que poétiques, des mélanges des deux parfois pour ne...

Longlegs

Longlegs

le 11 juil. 2024

Le diable est juste là

C’est une petite habitude désormais sur ce compte, se lamenter des sorties horrifiques récentes, qui seraient sur un plan esthétique mais aussi comparatif des années passées, de moins grande qualité...

La Bête

La Bête

le 7 févr. 2024

It's only Her end of the love

J’avais exprimé avec Conann l’année dernière, à quel point il peut être ardu de parler en bon et dû forme d’un long-métrage qui m’a autant marqué au fer rouge. D’autant plus pour un metteur en scène...