Âpre comme la nuit froide et rude d’un hiver gelé, dur comme la glace qui recouvre et fige la nature au repos, Miséricorde est le premier volet, en forme d’uppercut, de ce qui pourrait devenir une franchise (c’est réellement à souhaiter), celle des enquêtes du Département V, chargé de classer définitivement des enquêtes déjà closes. Adapté d’un roman du Danois Jussi Adler-Olsen, son adaptation possède toutes les qualités de ces polars venus du nord de l’Europe. Principalement celle de laisser une grande place à l’enquête proprement dite, en évitant les velléités spectaculaires de leurs homologues américaines.

Ce premier volet, de ce qui est à ce jour une série de six livres (dix sont prévus et deux ont été adaptés), a la lourde tâche de mettre en place les personnages, leurs caractères et l’univers dans lequel ils évolueront par la suite. Le film démarre très fort, sur une scène d’introduction très inspirée de Seven. Rien d’étonnant puisque le réalisateur, Mikkel Nørgaard (réalisateur sur la série Borgen) reconnaît David Fincher comme une de ses inspirations. Cette scène lance littéralement le film et donne ce qui en sera les grands traits : aucune fioriture, une narration et une mise en scène directes, qui vont à l’essentiel. Ce qui doit être dit est dit, ce qui doit être montré est montré et, ce qui doit être suggéré est savamment distillé. Voilà pourquoi on se laisse piéger d’entrée et plus d’une fois par la suite, jusqu’à un dénouement nerveusement infernal.

Car la narration est d’une habileté folle et rejoint en cela un montage qui se met totalement à son service. Le film est parsemé de flashback et flashforward, qui se comprennent avec une évidence déconcertante. Tant mieux, car ils sont nécessaires à la compréhension de l’intrigue et à l’empathie que l’on ressent peu à peu pour les personnages. Chose étrange, sans excuser celui qui est ici le psychopathe, ces flashback permettent de le comprendre, d’accepter sans être d’accord, son destin d’une horreur rare et qui l’a amené à imaginer une vengeance terrifiante. La musique prend d’ailleurs toute sa place dans cette horreur, une bande originale organique, presque vivante et qui, ajoutée aux plus horribles des scènes, peut provoquer une telle tension pour qui se sera laissé prendre, qu’elle en devient douloureuse.

En acceptant la mise au placard au département V, l’instable inspecteur Morck ne l’aurait jamais soupçonnée cette horreur, comme il n’aurait pas imaginé être affublé d’Assad comme partenaire, en tout point son opposé. Assad tellement bien dans sa tête, tellement stable émotionnellement. Nikolaj Lie Kass incarne Morck, il l’incarne idéalement car, au-delà d’un talent évident, cet acteur a une authentique gueule de cinéma, de celles qui tranchent autant que l’histoire qu’elles interprètent. Fares Fares est Assad, décontracté et parfois très drôle avec ce running gag du café imbuvable (en tout cas pour Morck). Il est cette intelligence sereine, lorsque son partenaire est guidé par ses nerfs autant que par son intuition.

Les Enquêtes Du Département V : Miséricorde est un film qui ne doit absolument pas tomber dans la confidentialité, même si les programmations des salles n’ont pas voulu lui donner la place qu’il mérite, le reléguant à la V.O.D. Le deuxième opus, lui, sortira en salle le 08 avril. Il faut avoir à l’esprit que, si les films à venir sont du même tonneau, on tient peut-être là, ce qui pourrait devenir une franchise, faite de ce qui serait alors les meilleurs thrillers des dernières années. Pas (ou peu) de violence dans les images, mais une violence suggérée, la pire de toutes, la plus étouffante. Miséricorde vous attrape, ne vous lâche plus et passe 97’ à vous torturer les entrailles, ravi de la douleur qu’il vous inflige mais pour un cinéphile, cette douleur est un régal.

*Ce film restera toujours ma première projection presse, à laquelle je suis allé comme un môme de 8 ans à qui on offre un déguisement de Spiderman. Jamais j'aurais cru que SC m'amènerait jusque là.
Jambalaya
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le 21 mars 2015

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