Le choix de Chloé Zao pour diriger ce nouvel opus de la saga Marvel était un pari étonnant. Bien que lors de la production cette dernière n'ait pas encore gagné l'Oscar du meilleur film et de la meilleure réalisatrice pour Nomadland (il faut souvent compter deux à trois ans en arrière), la réalisatrice chinoise s'imposait déjà comme une auteure d'un genre très proche du documentaire, préférant une approche viscérale et humaine des sujets qu'elle cadre. Autant dire qu'on est loin des standards des films Marvel. Le pari était donc risqué, insensé dirait certains, mais est-il réussi ?


La première chose à noter avec "Les Eternels" c'est qu'il est difficile à incorporer dans le MCU tel qu'on le connait. Trop d'événements se sont passés et le film se voit souvent obliger de se justifier quant à l'absence des héros dans les conflits ultérieurs comme dans ceux qui vont suivre. Il faut le souligner, plus la franchise va compter de films, plus les incohérences vont se multiplier, tant la Terre va devenir le terrain de jeux d'un nombre de conflits exponentiels et pourtant tous distincts les uns des autres.
Ainsi, via le seul personnage non-héros ayant plus de deux lignes de dialogues (Kit Harrington), le film va expliquer maladroitement, ses enjeux et sa légitimité à être incorporé dans l'univers étendu qui nous est présenté depuis près de deux décennies. Le souci, c'est que ces enjeux justement sonnent relativement creux tant la menace parait irréelle.
Lorsque le vilain bad guy Thanos est venu menacer d'extinction la moitié de l'univers d'un claquement de doigts, les moyens mis en oeuvre et le rassemblement de héros nécessaire permettaient de s'investir (un minimum) dans l'histoire. Ici, tout se joue en huis-clos ou presque. Les héros sont souvent seuls face aux démons qu'ils affrontent et, exceptée une scène dans Londres, rarement le reste de la planète semble concerné. Même lorsque le dessein final se révèle, ce dernier est désamorcé si vite et avec si peu de répercussions (à peine un breaking news) que l'on peine à croire que tout ça était bien important.


Qu'à cela ne tienne, le choix d'un scénario plus intimiste avec des questionnements plus existentiels avait de quoi séduire. Pendant près de 3h, Chloé Zao et son équipe essaie de passer le film de super-héros sous la loupe de réflexions plus profondes, à l'instar du Watchmen de Zack Snyder. Au centre du débat, une question souvent répétée : l'Humanité mérite-t-elle d'être sauvée ?
Tristement cela dit, le long-métrage ne fait qu'aborder superficiellement la question, sans chercher véritablement à y répondre et se reposant facilement sur la dichotomie classique : si les méchants veulent l'extinction pour X raisons, les gentils sont là pour sauver l'humanité, peu importe ses travers. Viendra même la longue tirade moralisatrice à base de "J'ai vu des gens tuer, mentir voler. Mais j'ai aussi vu des gens aimer et rêver, donc allez, on les sauve". On est loin du caractère torturé d'un Rorschach.
C'est le principal problème des Eternels, il ne se donne jamais les moyens de la profondeur de la réflexion entreprise, et c'est bien dommage.


La nouvelle galerie de personnages est également assez lourde à assimiler. Le trop grand nombre de protagonistes forcent des aller-retours incessants entre passé et présent afin de pouvoir dessiner les contours de leurs caractères respectifs. Couvrir une dizaine de storylines se passant en 7000 ans, en 3h de film, en plus de l'histoire principale relevait du suicide et c'est bien souvent que l'histoire manque de profondeur, créant un défaut d'empathie envers tous ces gens qui s'agitent à l'écran.


Visuellement, le tout reste très beau. Exceptées quelques incrustations finies à main levée et quelques transitions abruptes au montage, l'ensemble est plaisant à regarder. Les scènes de combats s'avèrent cependant assez réplétives et on leur préférera les quelques moments de poésie visuelle où Chloé Zao renoue avec un style bien à elle.
Mention à la composition sonore qui se marie très bien au tout et qui est l'œuvre de Djawadi, aussi connu pour la bande-son de Game of Thrones.


Pour conclure, il est bien étrange cet opus Marvel. Coincé entre une écriture d'auteur et la nécessité d'esbrouffe visuelle, pris dans l'étau d'un univers trop vaste forçant les incohérences et les impairs, il reste cependant un titre atypique ayant le mérite de se démarquer des canons standardisés de la série. Il n'est sans doute pas une tentative complètement aboutie mais un pas dans la bonne direction concernant l'évolution nécessaire du genre, avant que ce dernier ne devienne complètement indigeste.

Samuel_C_
5
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le 12 déc. 2021

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Samuel_C_

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