Avec les films à thèses (ici le plaidoyer pour les femmes égyptiennes subissant jusqu'en 2009 des attouchements et des agressions sexuelles dans l'impunité la plus complète), il est toujours compliqué d'exercer un œil critique sous peine d'être traité d'insensible, de sans-cœur. Pourtant, au-delà d'un sujet en soi estimable, mais qu'il conviendrait peut-être d'aborder au travers de reportages ou de documentaires et non d'œuvres hybrides, fictionnelles s'inspirant de faits réels, il faut aussi juger d'un long-métrage, qui se revendique comme tel, au regard de ses qualités intrinsèques de mise en scène, de construction et de scénario, sans oublier la direction d'acteurs.

En prenant en compte objectivement tous ces critères, il faut raisonnablement admettre que le film de Mohamed Diab présente bien des défauts : une construction chorale terriblement volontariste, multipliant sans vraisemblance des points de convergence, une volonté de proposer un tableau exhaustif et sociologique d'une triste réalité par le biais d'un triple portrait de femmes censées illustrer en quelque sorte la diversité des situations, la fluctuation entre étude de cas et enquête policière lorsqu'apparait à la bonne moitié du film l'inspecteur chargé de démêler les motifs des attaques physiques dont sont victimes certains passagers du bus 678 – lequel inspecteur constitue au demeurant le personnage le plus intéressant de l'ensemble. Alternant les séquences agitées et nerveuses au cœur de la métropole et des transports en commun avec les existences chaotiques des trois héroïnes, le film semble opter à un moment pour une véritable noirceur, faisant naître le drame là où on l'attend le moins, renvoyant aussi chaque personnage à son échec et sa situation sclérosée. De manière prévisible, les vingt dernières minutes s'emploient à élaborer un happy end en forme de promulgation d'une loi reconnaissant la légalité des agressions sexuelles et donc la possibilité de voir reconnue et traitée une plainte, même si elle reste pour l'instant peu usitée.

La valeur des Femmes du Bus 678 se situe d'abord au niveau informatif : l'Egypte est dépeinte comme un pays machiste qui bafoue dans le consentement hypocrite général la condition des femmes. Il réussit néanmoins à poser avec subtilité et sans pathos excessif les différents aspects de la problématique que les conversations éclairées et parfois vives entre les trois femmes permettent d'appréhender. Dommage dès lors que le film n'affiche pas plus de rigueur ni d'ambition formelle dans sa réalisation, en finissant par survoler – et donc caricaturer – le trio des femmes qui enclenchent, chacune à leur manière et pour des raisons qui leur sont propres, la bataille pour que les trajets en bus et la vie publique en général cessent d'être une épreuve vécue dans la honte et le secret.
PatrickBraganti
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le 11 juin 2012

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