Avril jouée par Emma Suarez, la remarquée Julieta d’Almodovar, apparaît d’abord comme une mère bohème, aux robes hippies, qui vit sa vie de janvier à décembre et laisse ses deux filles habiter à leur guise sa maison au bord de la mer baignée de soleil et balayée par les embruns. Quand elle débarque d’on ne sait où dans ce tableau qui semble délicieusement oisif, sa cadette Valeria 17 ans, attend un bébé de l’amour. L’amour, elle le fait d’ailleurs librement et bruyamment avec son petit ami pendant que l’aînée coupe les oignons en silence. Leur attitude tranche : l’une semble prendre l’existence comme elle se présente tandis que l’autre, ronde et moins à l’aise dans sa peau, joue les mères de substitution sans pour autant nourrir rancune envers la sienne, la vraie, absente mais aimante. L’amour maternel n’est-il pas plus primordial au fond que le sens exemplaire des responsabilités ? D’autant qu’Avril a la présence sporadique mais efficace : charismatique, riante, réconfortante, elle gère les pleurs du nouveau-né, aide à la cuisine, accompagne le malaise de ses filles dépassées par la maternité ou le surpoids. Dans le premier tiers du film, le cadre narratif volontairement elliptique oblige habilement le spectateur perplexe à s’interroger : où se situe exactement l’action ? D’où vient Avril ? Pourquoi a-t-elle laissé ses filles ? Un homme ? Un travail ? Petit à petit, certaines zones d’ombre s’éclairent et d’autres se créent au gré d’attitudes suspectes, de réactions contradictoires et de faits non explicités. Avril distille le doute jusqu’au moment où le film bascule dans le sordide. Point de non-retour. Le personnage s’enfonce dans la folie face au spectateur déconcerté. La mère s’est transformée en monstre, rattrapée par ses propres frustrations de femme, son désir délirant de relancer la partie de sa vie en se jouant du temps et en sacrifiant sa progéniture sur l’autel d’un égoïsme pathologique. Avril, déclinaison de la figure de « Mai-dée » : mauvais jeu de mot pour une mauvaise mère…bien pire que mauvaise, indigne, innommable, inconcevable. Personnages secondaires sans grande épaisseur, scènes qui semblent tomber dans l’invraisemblance totale, fin rapide et bâclée sont autant de bémols qui, en même temps, ne mettent que mieux en exergue une protagoniste extrême. Bien sûr, on peut tout imaginer des tumultes de la vie complexe d’un individu qui empêchent de simplifier la réalité : échecs, solitude, traumatismes, chagrins etc. Ici, dans le jeu des non-dits scénaristiques, toutes les réponses ne seront pas données et on comprend bien que c’est parce qu’il n’y a pas de justification à chercher, pas de circonstances atténuantes possibles, pas de clés qui ouvrent vers une interprétation rationnelle d’Avril et ses filles. Comme dans Antichrist en 2009, à l’extrême bonheur de la maternité qui communément comble une femme, s’oppose l’extrême violence de la maternité hideuse à laquelle on a peine à croire tellement elle choque et dégoûte.

Jeannne
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le 16 août 2017

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