The New Centurions se présente comme la suite logique de toute une œuvre. Après avoir longuement filmé, scruté, analysé le tueur, afin d'en dresser un portrait des plus réalistes, Fleischer porte cette fois-ci son regard sur son pendant négatif et applique la même méthode. On retrouve ainsi cette sécheresse de style qui se distingue jusque dans le traitement de ses scènes d'action, ce souci exacerbé du détail qui oriente aussi bien sa composition des plans que l'élaboration des protagonistes, et surtout cette vision réaliste, voire pessimiste, qui nous révèle des personnages terriblement humains. Basé sur l'ouvrage d'un ancien policier, The New Centurions brille avant tout par sa représentation d'un monde policier sans fard, loin des clichés et des codes du polar classique.


Assez intelligemment, d'ailleurs, le film joue immédiatement sur nos attentes. Les premières scènes introduisent un récit qui semble calqué sur les habituels films d'action (policier, guerrier) : on découvre les nouvelles recrues de la police, des bleus fringuant et motivés, parmi lesquelles trois se distinguent tout particulièrement. On imagine alors une intrigue suivant en parallèle l'évolution de nos trois comparses au sein de la police, avec forcément des destins et des fortunes divers. Mais il n'en sera rien, Fleischer rompt brutalement avec les habitudes du cinéma classique et se désintéresse aussi bien des héros que des histoires héroïques. Son film sera moins un film policier qu'un film sur la police, avec la description minutieuse d'une profession qui finit par submerger ceux qui la servent.


C'est exactement ce qui va arriver au personnage incarné par un excellent Stacy Keach, le jeune Roy Fehler. Contrairement aux grands idéalistes rencontrés dans ce type production, notre homme n'est qu'un étudiant en droit raté qui endosse l'uniforme uniquement par dépit. Seulement ce job n'est pas anodin : en mettant en contact le quidam avec l'horreur ordinaire et une violence non refrénée, il corrompt progressivement leur esprit et transforme le beau centurion en força du devoir.


The New Centurions exhibe alors un système qui bouffe l'homme et le transforme en Sisyphe moderne : chaque jour notre flic tente de faire respecter la loi, chaque jour il se lance dans un combat qui semble perdu d'avance tant ce monde n'en finit plus de sombrer dans la violence, le crime, le racisme, l'homophobie... Avec son sens de la mise en scène, sec et précis, Fleischer nous laisse voir un mal omniprésent, polymorphe et profondément troublant pour ceux qui s'en approchent. Comment rester le même lorsque votre quotidien est désormais rythmé par le sordide (séquence très forte d'un bébé maltraité) et la basse besogne (la fouille des poubelles pour le besoin de l'enquête). Le constat est sans appel, Fehler ne sait plus vivre sans son travail et toute vie sociale ou familiale lui est désormais impossible.


Une nouvelle fois, Fleischer met l'accent sur l'intrusion néfaste du travail dans la vie quotidienne en montrant des flics qui ne peuvent plus décrocher, délaissant tout ce qui constituait leur vie auparavant (famille, ami, projet de vie, etc.). Fehler est obsédé par la rue et sa vie nocturne, oubliant son épouse et son foyer ; quant à son mentor Kilvinsky (remarquable George C. Scott), il ne sera guère différent puisque sa mise à la retraite ne fera que mettre à jour son incapacité à mener une vie ordinaire.


Si le portrait ainsi esquissé par Fleischer impressionne durablement nos esprits, on peut toutefois regretter une représentation tellement pessimiste que cela en devient presque gênant. Il faut dire que le cinéaste, comme il a pu le faire avec ses portraits de criminel, cherche à adjoindre à la vision désillusionnée du flic celle de la société des 70's. Le milieu nocturne devient par la force des choses l'élément prédominant en faisant la jonction entre la tâche du policier et la fièvre du milieu urbain. S'il en résulte des séquences très fortes, oppressantes ou mélancoliques (la traversée d'un tunnel qui sombre progressivement dans l'obscurité, la vision d'une solitude face à une ville gagnée par le crépuscule), le réalisme obtenu manque parfois de nuance. Une impression qui est d'autant plus tenace que les ellipses narratives ne sont pas toujours maîtrisées et viennent parfois gêner le bon déroulé de l'histoire.


Mais qu'importent au fond ces petits reproches, car The New Centurions réussit là où tant d'autres ont échoué, en rendant compte avec vigueur du quotidien des représentants de l'ordre. Annonçant ce que seront des séries comme Hill Street Blues ou The Wire, se désintéressant d'une construction narrative classique, le film évolue comme une chronique de la vie policière qui évoque aussi bien la pénibilité du travail que sa routine journalière, les coups de blues (avec l'alcoolisme) que les coups de chauds (fusillade, émeute), le pathétique (les bavures que l'on tente de dissimuler) que l'insolite (l'arrestation des prostituées au cœur de la nuit). C'est bien cet éventail d'un réalisme cru qui donne toute sa saveur au film, tout comme sa représentation toute particulière de la violence. Jamais idéalisée ou esthétisée, celle-ci semble s'abattre au hasard, tuant la mauvaise personne ou pour les mauvaises raisons, empêchant le film d'avoir sa morale et le spectateur d'accéder à un soupçon de réconfort.

Créée

le 27 oct. 2021

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Procol Harum

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