Souvenir d'une vie
Le titre du film est déjà une splendeur à lui seul... Alors, déjà je suis en extase devant Ingrid Thulin de sa première apparition à l'ultime seconde où elle quitte la chambre, d'ailleurs le bon...
Par
le 3 mars 2011
96 j'aime
22
Pourvoyeur d'images de génie, Ingmar Bergman tient aujourd'hui, dans l'univers cinématographique, une des tout première place. La force de son oeuvre, ses réflexions graves mais d'une portée universelle, son originalité, son style, qui est celui d'un créateur à part entière, son écriture si personnelle ont fait de chacun de ses films un événement justifié. Aussi comment entrer dans cette vaste filmographie sans être désorienté ? Il me semble que Les fraises sauvages peuvent être une introduction valable à une oeuvre dense et difficile qui se nourrit d'humanité, mais qui a souvent intimidé le néophyte.
Bergman est le chantre de la solitude et ce long métrage aborde le sujet à travers le personnage d'un vieil homme qui vient de recevoir une distinction honorifique, couronnant sa carrière de médecin. A la suite d'un rêve, il bouscule ses plans et décide de se rendre en voiture à Lund avec sa belle-fille, ce qui lui permettra de revoir des lieux chargés d'évocations et de souvenirs.
Ce sera également l'occasion de revivre certains d'entre eux et de faire le bilan de sa longue existence. Mais, heureusement, des personnes rencontrées vont l'aider à se réconcilier avec un passé chargé d'échecs sentimentaux et d'éclairer ses vieux jours d'une lueur de tendresse.
En effet, une fois arrivé à Lund pour y recevoir sa récompense, le professeur Isaak Borg, ébranlé dans ses convictions, prend la résolution de tenter d'agir de façon à entretenir désormais des rapports moins formels avec son entourage. Un arrêt à la maison de son enfance le replonge au coeur de son passé, à la différence qu'il devient le témoin de scènes auxquelles il n'avait pas assisté à l'époque. C'est ainsi qu'il revoit sa fiancée d'alors, Sara, en train de se laisser séduire par son propre frère et qu'il la surprend plus tard se lamentant de ce que sa cour, érudite et compassée, l'avait contrainte à aller chercher ailleurs un peu plus de volupté. Se révèlent à lui l'étendue de son incompréhension à son égard et sa coupable négligence. Sa remise en cause, si elle est tardive, n'en est pas moins sincère. Si bien qu'au lieu d'une lente marche funèbre, "Les fraises sauvages" s'ouvre sur une allégorie qui n'est pas seulement pour le héros une sorte de politesse du désespoir, mais tend à conclure que l'existence se poursuit sous un éclairage autre, que le rêve est aussi une forme de vie, une vie transposée en une perspective réconciliante, où la fiancée de jadis se remet en route avec vous vers un horizon apaisé. L'auteur parvient avec virtuosité à doser rêve et réalité sans jamais leur attribuer de frontières trop précises, cela en une orchestration d'une poignante beauté. On sait également que Bergman était très musicien et qu'il se dégage de ses oeuvres une musicalité étrange qui m'a toujours frappée. Dans "Les fraises sauvages", on voit Sara jeune suspendre le temps à l'aide d'un prélude, lent et nostalgique, du clavier bien tempéré. Bergman a toujours privilégié deux types dans le répertoire musical : celui des spiritualistes comme Bach et Mozart et celui des romantiques avec Chopin, Schumann, Schubert et Bruckner. Il a consacré un film à l'opéra de Mozart : La flûte enchantée qui est une réussite.
Par ailleurs, "Les fraises sauvages", comme l'ensemble de l'oeuvre bergmanienne, bénéficie d'une grande rigueur esthétique, rendue peut-être plus captivante que le film a été tourné en noir et blanc, de même qu'il jouit d'une interprétation hors pair - il n'est pas besoin de souligner que le réalisateur était un formidable et très exigeant directeur d'acteurs - avec une Ingrid Thulin et une Bibi Andersen merveilleuses et un Victor Sjöström d'un puritanisme et d'une misanthropie douloureuse qui n'étaient pas éloignés de ceux de son metteur en scène. Restent les souvenirs et la nostalgie d'un passé heureux que le metteur en scène sait si bien traiter avec l'austérité grandiose qui le caractérise. Si bien que ce film majeur porte à son sommet une inspiration jamais démentie par la poésie : la nature ne fait qu'un avec le vertige des sens et des souvenirs qui s'empare de cet homme sans repères temporels. Chacun, au final, trouvera ce qu'il cherche, car ici rien n'est imposé. Il y est moins question de la mort, des échecs ou des désillusions que de la continuation possible de la vie alors même qu'elle arrive à son terme.
Ne nous y trompons pas, Bergman s'est profondément mis en scène dans cet opus pour la raison suivante : à l'âge de 15 ans, il avait assisté à la projection de La charrette fantôme, le grand film réalisé par Victor Sjöström, dont il reconnut, par la suite, l'immense influence. Trente ans plus tard, en réalisant "Les fraises sauvages", Bergman, voulant interroger la figure de son père, fit appel, tout naturellement, au grand cinéaste pour l'interpréter. Mais il finit par se rendre compte que ce qu'il cherchait derrière la figure paternelle était son propre passé, sa propre enfance. De cette quête, de cet examen sans complaisance de lui-même, est né ce film lumineux, où la convocation des souvenirs et des rêves mêlés à la réalité produit une atmosphère inoubliable. " La vérité, c'est que je vis sans cesse dans mon enfance. Dans "Les fraises sauvages", je me meus sans effort et assez naturellement entre des plans différents temps-espace, rêve-réalité - a confié à un journaliste le cinéaste suédois. C'est probablement cette recherche du temps perdu qui a marqué d'un sceau inaltérable cette oeuvre prodigieuse.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.
Créée
le 20 juil. 2015
Critique lue 423 fois
6 j'aime
D'autres avis sur Les Fraises sauvages
Le titre du film est déjà une splendeur à lui seul... Alors, déjà je suis en extase devant Ingrid Thulin de sa première apparition à l'ultime seconde où elle quitte la chambre, d'ailleurs le bon...
Par
le 3 mars 2011
96 j'aime
22
Le génie de Bergman se manifeste par bien des aspects et à travers presque tous ses films. A chaque nouvelle expérience, une nouvelle facette de son talent insolent. Dans ces fraises sauvages, deux...
Par
le 30 nov. 2011
78 j'aime
8
Les Fraises Sauvages est un film suédois sorti en 1957, écrit et réalisé par Ingmar Bergman déjà connu pour Sourires d'une Nuit d’Été (1955) ainsi que Le Septième Sceau (1957). La veille de son...
Par
le 27 juin 2016
59 j'aime
16
Du même critique
Grâce à un petit héritage personnel, Claude Chabrol, alors jeune critique aux Cahiers du cinéma, produit lui-même son premier film, réalisé avec le concours efficace d'une bande de copains réunie...
Par
le 6 juil. 2013
15 j'aime
1
Tom Ripley ( Alain Delon ) a été chargé par un riche industriel américain, Greanleaf, d'aller chercher son fils Philippe ( Maurice Ronet ) en Italie, où il mène une vie oisive en compagnie de Marge (...
Par
le 25 mai 2013
13 j'aime
1
Mort à Venise, film lumineux et complexe est, sans nul doute, l'un des plus grands chefs d'oeuvre du 7e Art. Inspiré d'un roman de l'écrivain Thomas Mann, lui-même influencé par la philosophie...
Par
le 25 juin 2013
13 j'aime
1