Pip, jeune garçon destiné à une vie insignifiante et pauvre, devient le protégé d'une vieille dame excentrique, Miss Havisham, qui vit recluse dans un vieux manoir avec pour seule compagnie sa fille adoptive, Estella. Cette-dernière suscite l'intérêt et l'admiration du garçon...


Tout le charme du film se dévoile dans l'atmosphère envoûtante des premières scènes: il y a, à l'origine de ces instants magiques, un fabuleux travail sur les contrastes, les décors (même le ciel semble recréé, esthétisé: il a l'apparence d'une toile peinte) et surtout les effets sonores. Dans la campagne anglaise, le jeune Pip est entouré de bruits étranges, effrayants: Lean restitue non seulement un cadre angoissant et hostile mais surtout une expérience d'enfant, dans laquelle chaque son paraît amplifié ou déformé.
Le réalisateur a parfaitement su saisir la cruauté du regard de Dickens: l'enfant est soumis à la perversité, à l'agressivité et à l'amertume du monde adulte (lors de la scène du dîner, une contre-plongée fascinante fait ressembler les "grandes personnes" à des monstres). Pip pose un regard neuf sur chaque élément de son environnement: tout est plus vrai, plus grand que nature.
Dans cette perspective, le demeure de Miss Havisham, "Satis House", ne pouvait que s'inscrire dans la grande tradition des maisons inquiétantes du cinéma: comme le Manderley du "Rebecca" de Hitchcock ou le château enchanté de "La Belle et La Bête" de Cocteau, Satis House est un personnage à part entière, qui a autant de présence que son habitante (inoubliable composition de Martita Hunt), rendue folle par un chagrin d'amour, se laissant vivre dans sa chambre-musée.

La deuxième partie du film est hélas moins captivante, en partie à cause de graves erreurs de casting: John Mills, par ailleurs un excellent acteur au jeu très intense, est trop âgé pour le rôle de Pip jeune homme, et Valérie Hobson ne peut faire oublier la grâce de Jean Simmons.
Le film devient dès lors plus prévisible, plus conventionnel, presque académique: l'histoire d'amour monotone affaiblit l'ensemble, comme si Pip et Estella adultes étaient des êtres distincts des enfants qu'ils avaient été...
Le retour du personnage de Magwitch, le forçat, apporte un souffle bienvenu: la mise en scène , les images retrouvent une vigueur et une beauté qui s'étaient évanouies; le récit multiplie les révélations, les coups de théâtres et les rapprochements inattendus (à l'image de la très belle relation qui se noue entre Pip et Magwitch, son bienfaiteur); l'émotion surgit et ne nous lâche plus.

Le film est à redécouvrir, ne serait-ce que pour apprécier le talent d'un David Lean encore à mille lieues de ses œuvres épiques ultérieures ("Lawrence d'Arabie" et "Le Docteur Jivago").
Frankoix
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le 7 févr. 2011

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