Entre documentaire sans matière et fiction sans action

Faire un film sur les harkis nécessite d'éviter de multiples écueils : montrer l'abandon de ces auxiliaires de l'armée française sans tomber dans la description larmoyante, montrer les raisons de l'engagement pour la France sans être cynique, décrire l'armée française sans n'en faire qu'une machine bureaucratique et coloniale. Ce film réussit globalement cette prouesse, en donnant à son film un naturalisme cru : on montre, on écoute, en bref on redonne vie à ces populations des Aurès, presque sans s'en mêler : jamais le récit ne voit de narrateur, ni extérieur ni intérieur au récit, qui lui donnerait une allure didactique. Cependant, il n'évite pas les affres d'une réalisation scolaire, consistant à enchaîner les idées scènes par scènes, sans nécessairement de lien entre elles, sans qu'il y ai d'ailleurs d'enjeu; certaines scènes, notamment la discussion près du feu entre le lieutenant et son traducteur, semble sortie de nulle part, sans être amené d'une quelconque façon et sans trouver même une cohérence interne. De même, les familles des soldats, qui constitue un enjeu majeur, étant leur lien avec la population algérienne, ne sont vu que deux fois dans le film : au tout début, quand un soldat s'engage, et à la fin, quand elles sont contraires de fuir. D'elles, on ne sait ni la vie, ni les préoccupations quotidiennes; les harkis sont limités à leur statut de soldat.
L'ambition du film est de toute façon démesuré, car il est impensable de faire le récit d'un groupe aussi disparate et à l'histoire aussi complexe en 1h22. Ne pouvant être exhaustif, il semble chercher tout au long qui il est vraiment : un film documentaire ? Une fiction ? La description d'un groupe Le récit des aventures d'une unité précise ? Cette ambiguïté jamais résolue empêche également le film d'aller quelque part, de trouver un enjeu à résoudre. L'importance de la marche résonne ici comme une sorte de mise en abîme.
Mais, ce qui est pire encore, le film n'échappe pas à une forme de vision colonialisante des auxiliaires de l'armée française. Des soldats, on ne sait rien, pas même, pour la majorité d'entre eux, leur nom. Seul le lieutenant, français, évolue. De purement colonialiste et autoritaire, il devient critique des ordres de sa hiérarchie, dont il comprend qu'elle va tout bonnement abandonner ses propres soldats, et va jusqu'à désobéir en permettant à ses soldats de s'enfuir clandestinement. Pour un film qui prétend redonner la lumière à ceux qui ont été abandonné par la France, cette abandon scénaristique peut paraître quelque peu ironique.
Il faut cependant reconnaître quelques qualités à ce film : il réussit en effet bien à retranscripre la subtilité de l'engagement des harkis, qui ne combattent pas par amour de la France, mais par simple volonté de protection de leur famille et de leur bêtes des agissements du FLN. De plus, sa monstration des errements de l'État major français, tardant à voir l'enjeu du retour dans leur village des harkis et du non respect probable des accord d'Evian est assez intéressante, avec une hiérarchie militaire hors sol et un lieutenant incapable d'agir refusant d'abandonner ses hommes à leur triste sort. Les difficultés de communication, entre le lieutenant et ses troupes, qui doivent passer par un interprète pour se comprendre, montrent aussi l'impossibilité concrète de la présence française en Algérie tant que les populations s'étaient séparé. Comble de l'ironie, les formulaires étant à remplir en français, aloès que nombre de soldat ne savent ni écrire ni parler le français, la France maintient son influence même pour ceux qu'elle a prétendument refusé d'influencer.
Ce film est cependant un échec global, ne réussissant à apprendre des éléments sur les harkis à son spectateur autrement que par les inscriptions au début et à la fin et à travers une réalisation chronologique et linéaire, afin de ne surtout prendre aucun risque pour ne pas perdre son public. Film fait pour les élèves de collège, il est clair et est une bonne porte d'entrée à la question de la gestion française des harkis après la guerre. On pouvait cependant légitimement attendre davantage d'un film prétendant à l'apport intellectuel.

Herodote1905
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le 30 oct. 2022

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