Les Hauts de Hurlevent par Clément en Marinière
Des Hauts de Hurlevent, Andrea Arnold s'éloigne dangereusement, mais donne surtout une leçon de lecture assez magistrale. Dans un refus total de l'asservissement factuel (le "BBC style"), la cinéaste prend des libertés inattendues avec le récit original.
Que dire de cet Heathcliff noir, "Prince Africain", qui vient rappeler à Catherine Earshaw combien elle est prisonnière de sa propre sauvagerie? Beaucoup crieront au scandale, en oubliant que le dénouement du roman met une emphase particulière sur l'année 1802, celle du rétablissement de l'esclavage dans tout l'empire Napoléonien. De cette ré-écriture partielle, qui en précède d'autres plus profondes (Catherine n'aura pas d'enfant ici, coupant dramatiquement court à la vengeance d'Heathcliff), Andrea Arnold tire un film oppressant, étouffant, à des années lumières du maniérisme affirmé des adaptations de romans classiques, et draine tout le romantisme qui y a faussement été infusé au fil des années. Il ne reste plus, dans une épure assez totale, que des personnages errants, prisonniers de leurs affects, de leur race, de leur sexe; car dans Les Hauts de Hurlevent, la seule barrière qui se franchit simplement est la barrière sociale, et le drame est toujours intime avant d'être sentimental.
Mais alors, comment ne pas être outré devant les errances cinématographiques d'Andrea Arnold? Loué pour sa beauté visuelle, le film est pour autant prisonniers de tics au mieux déstabilisants, au pire irritants, à l'image de l'atroce chanson folk qui vient clore le film ou des allers-retours incessants entre passé et présent, qui, dans la seconde partie, ne font que souligner ce que le spectateur a déjà compris; et ce qu'Andrea Arnold a pris de distance avec le roman, elle le perd vis-à-vis de sa mise en scène, prisonnière des manières d'un certain cinéma contemporain britannique. Pas de quoi bouder l'expérience que Les Hauts de Hurlevent offre au spectateur averti cependant, mais un constat bien amer, tant le film, fort d'un travail de lecture puissant et original, aurait pu se hisser vers des hauteurs inattendues.
(Et bah dum tsss pour le jeu de mot final)