Voir le film

Il y a un peu plus d’un an maintenant, le 5 février 2020, disparaissait l’un des derniers grands noms du fameux âge d’or hollywoodien : l’incontournable Kirk Douglas. Un acteur légendaire qui s’est, au cours de sa très belle carrière, illustré dans de nombreux genres, parmi lesquels celui – vous vous en doutez – du film de guerre.


S’il n’est de loin pas la plus connue de ses incursions dans le genre, Les Héros de Télémark (The Heroes of Telemark), dont Kirk Douglas est la tête d’affiche, s’avère en revanche notable à plus d'un titre :


Côté coulisses d’abord, le film est l’ultime opus de son réalisateur Anthony Mann (qui décèdera treize mois plus tard, au cours du tournage de son film suivant). Un réalisateur principalement connu aujourd’hui pour sa fructueuse collaboration – au sein de laquelle une série de cinq westerns fameux – avec une autre vedette de l’époque, James Stewart. Mais aussi un réalisateur qui avait déjà dirigé Kirk Douglas, cinq ans plus tôt, sur le plateau du péplum Spartacus… le temps de quelques jours seulement, avant que son acteur – et producteur ! – ne décide finalement de le congédier, pour le remplacer par un certain… Stanley Kubrick. Pour qui Douglas avait déjà joué le premier rôle d’un autre film de guerre : Les Sentiers de la gloire.


Ces Héros de Télémark seront ainsi, cinq ans après leur première collaboration avortée sur Spartacus, l’occasion de retrouvailles en bonne et due forme pour l’acteur Kirk Douglas et le réalisateur Anthony Mann. Qui ne lui a visiblement pas fait grief de son éviction soudaine de leur tournage précédent !


Sorti en novembre 1965 au Royaume-Uni, soit l’année des vingt ans de la capitulation du Troisième Reich, le film présente par ailleurs pour singularité d’être l’un des rares – très rares, même – et ce encore à ce jour, à traiter du sujet précis de la bataille de l’eau lourde. Une « bataille » assez méconnue du grand public (d’où le titre initial du projet, The Unknown Battle ?) qui désigne en réalité la longue entreprise de sabotage menée (avec succès !) par les forces alliées entre 1940 et 1944 contre le projet de course à la bombe atomique de l’Allemagne nazie.


Après avoir envahi la Norvège en avril 1940 dans le cadre de l’opération Weserübung, l’Allemagne nazie a en effet eu pour projet d’exploiter sa centrale de Vemork, située dans le sud du pays et qui était alors la seule usine européenne d'eau lourde (un terme à première vue surprenant qui désigne en fait un liquide dans lequel la structure de l’hydrogène est plus lourde que dans l’eau ordinaire… et qui possède en conséquence de précieuses propriétés pour l’étude de l’énergie atomique). Ceci dans l’optique, donc, de parvenir à réaliser la bombe atomique… un accomplissement qui aurait bien pu changer le cours de la guerre !


Face à cette menace, les Alliés (parmi lesquels le roi et le gouvernement norvégiens, exilés à Londres) ont en réponse entrepris de saboter ce projet, et pour cela mis sur pied cinq attaques successives contre le site de Vemork, désormais sous occupation allemande. C’est le récit de cette série d’opérations militaires que s’attache à retranscrire Les Héros de Télémark.


Et si, pour des raisons évidentes, le film s’autorise naturellement des libertés vis-à-vis de l’Histoire, il se veut tout de même un récit assez fidèle dans l’esprit – et crédible dans les faits : il se pose pour cela comme l’adaptation conjuguée de deux ouvrages dédiés au sujet : Skis Against the Atom, récit du militaire et résistant norvégien Knut « Bonzo » Haukelid, lui-même membre du commando norvégien chargé de la troisième attaque contre l’usine d’eau lourde ; et But for These Men de l’écrivain anglais John D. Drummond.


Dédié à tous les Norvégiens qui se battirent pour empêcher le Troisième Reich de mettre au point son sinistre projet, Les Héros de Télémark s’ouvre aux abords de la ville de Rjukan (située dans le comté de Télémark, qui donne son nom au film). Nous sommes en 1942 et la Norvège est donc sous occupation allemande. C’est aux abords de Rjukan que trône la fameuse usine d’eau lourde de Vemork. Son directeur, M. Nilssen, y reçoit justement la visite de dignitaires nazis… pour qui il est désormais temps que l’Allemagne accomplisse sans plus tarder un grand pas en avant dans son projet de fabrication de la bombe atomique.


Le temps des expériences ne peut pas durer indéfiniment : les scientifiques nazis viennent d’adjoindre à l’équation jusque-là admise un nouveau composant et nécessitent maintenant des quantités considérables d’eau lourde. Aussi l’usine de Télémark est-elle réquisitionnée sur-le-champ et devra désormais accroître sensiblement sa production d’eau lourde : les Allemands exigent au directeur de la centrale la livraison de cinq tonnes d’eau lourde pour l’an suivant ! Une tâche a priori impossible ? Pas pour le commissaire du Reich en présence, selon qui « ce qui est nécessaire doit trouver son accomplissement ! ». Ceci d’autant plus que l’avenir du Reich est en jeu : de la création de la bombe atomique ne dépend rien de moins que la victoire de l’Allemagne !


Bien décidé à ne pas obéir aveuglément aux consignes des nazis, le directeur Nilssen envoie Knut Straud (Richard Harris), l’un de ses concitoyens lui aussi engagé dans la résistance contre l’envahisseur allemand (un personnage évidemment inspiré du vrai résistant Knut Haukelid mentionné plus haut), à l’université d’Oslo – la capitale du pays – y trouver le docteur Rolf Pedersen (Kirk Douglas) afin de lui communiquer un négatif comportant les détails du projet des nazis. Le résistant et le docteur ne tardent pas à se résoudre à rejoindre clandestinement Londres pour y avertir leur état-major de cette avance considérable dans la course pour le contrôle de la fission de l’atome que vient de s’offrir l’Allemagne…


Sans surprise, tout ce beau monde en conclut rapidement qu’il s’avère impératif d’agir sans plus tarder : l’usine où se fabrique l’eau lourde doit être détruite dans les plus brefs délais – ceci afin que les réservoirs du précieux liquide ne soient jamais expédiés pour l’Allemagne. Une question demeure toutefois : quelle est pour cela la solution la plus efficace ? le bombardement de l’usine ? ou bien l’attaque au sol par des commandos ? Le but de l’entreprise étant bien sûr d’éviter au passage la destruction de la ville attenante, Rjukan, et avec elle le massacre de ses six mille habitants…


Vendons la mèche : ce sera finalement l’option du commando au sol qui sera retenue. Commando composé de résistants norvégiens dont feront naturellement partie nos deux héros, Rolf Pedersen et Knut Straud. Mais, évidemment, rien ne va se dérouler comme prévu…


Cachés dans les montagnes enneigées de Télémark, nos personnages vont notamment être amenés à confronter à plusieurs reprises leurs différentes perceptions du patriotisme (commettre un attentat envers un véhicule nazi peut-il se justifier, ceci sachant que seront immanquablement fusillés en représailles des otages civils ?) mais aussi affronter des dilemmes moraux parfois imprévus : que faire de ce témoin civil malencontreusement croisé en pleine préparation de l’assaut ? L’abattre, dans le doute ? Le garder à vue ? Ou bien prendre le risque de lui faire confiance ? L’enjeu de l’opération est majeur…


A l’instar de ce en quoi a consisté la véritable bataille de l’eau lourde, le film déroule en deux heures plusieurs attaques contre la production allemande – chacune de ses péripéties s’avérant en fait inspirée de l’une de celles s’étant réellement déroulées. Et présente, outre l’assaut de l’usine de Vemork, une très chouette course-poursuite en skis entre nos deux héros et un bataillon de soldats nazis, véritable morceau de bravoure du film !


Ce faisant, Les Héros de Télémark déploie au fil de son récit une imagerie du film de guerre assez généreuse, de l’embuscade d’un convoi nazi par un groupe de résistants au saut en parachute en territoire ennemi, en passant par le peloton d’exécution, l’évasion lors d’un transfert, la découverte du corps sans vie d’un opérateur, le détournement de navire adverse ou encore la traversée sous tension d’un champ de mines… sans oublier les quelques explosions de rigueur.


Le tout emballé par le grand Anthony Mann, donc, dont la mise en scène est dans cet ultime opus comme dans tous ses précédents ; à savoir simple, efficace et de bon goût. Mettez-la au service d’une page de l’Histoire méconnue mais fascinante, plongez-la dans le décor enneigé des montagnes norvégiennes de Télémark, rythmez-la au son de la partition très sympa du compositeur Malcolm Arnold et ajoutez-y le charisme incandescent de Kirk Douglas : vous tenez là autant de bonnes raisons de découvrir – ou redécouvrir ? – ces Héros de Télémark.

ServalReturns
7
Écrit par

Créée

le 2 avr. 2021

Critique lue 514 fois

1 j'aime

ServalReturns

Écrit par

Critique lue 514 fois

1

D'autres avis sur Les Héros de Télémark

Les Héros de Télémark
Ugly
7

Du sang dans la neige

Avec ce film, l'acteur-producteur Kirk Douglas est conscient de réparer une injustice en répondant à l'invitation d'Anthony Mann qu'il avait renvoyé du tournage de Spartacus, la dette promise est...

Par

le 19 juil. 2018

19 j'aime

15

Les Héros de Télémark
Docteur_Jivago
5

♪♫ Sabotage ♪♫

Anthony Mann dirigeant Kirk Douglas et Richard Harris pour une production de Guerre comme seul cet Hollywood pouvait en faire, il y a de quoi être intrigué et avoir de l'espoir pour Les Héros de...

le 22 nov. 2020

14 j'aime

14

Les Héros de Télémark
SanFelice
4

Il n'y a pas que l'eau qui est lourde

Le générique était pour le moins alléchant. A la réalisation : Anthony Mann. Rien que cela suffit à me décider à voir un film, tant j'apprécie le travail du cinéaste. ici, il dirige Kirk Douglas (à...

le 14 mars 2013

12 j'aime

2

Du même critique

OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire
ServalReturns
7

Ce magnifique pays que l’Afrique

Ah, OSS 117 3… un film que j’aurai attendu comme j’en ai attendus peu. Douze ans maintenant que je le réclamais, le rêvais, le fantasmais… Bien sûr, la route fut semée d’embûches. Ce furent d’abord...

le 4 août 2021

40 j'aime

5

Benedetta
ServalReturns
4

La déception est aussi cruelle que l'attente a été longue

Vu hier soir. Grosse déception... Comme Elle, le film jongle sur différents tons ; il se veut tour à tour comique, dramatique, ironique, solennel... et sur le papier pourquoi pas, mais je trouve...

le 11 juil. 2021

30 j'aime

1