Avec son amusant titre à rallonge et la présence en tête d'affiche de Gerard Jugnot et Daniel Auteuil, Les Héros n'ont pas Froid aux Oreilles avait tout d'une bonne grosse comédie populaire. Le premier long métrage de Charles Nemes sorti en 1979 ne rencontrera pas un immense succès en salles mais trouvera un plus large public dans les vidéoclubs plus tard grâce aux succès à posteriori de Daniel Auteuil dans Les Sous Doués et de Gerard Jugnot dans les films avec la troupe du Splendid. Pourtant Les Héros n'ont pas Froid aux Oreilles reste encore aujourd'hui un film assez injustement méconnu peut être précisément parce que trop souvent jugé durement comme une grosse comédie décevante alors que le film de Charles Nemes joue sur un registre bien plus touchant et mélancolique.


Les Héros n'ont Pas Froid aux Oreilles c'est l'histoire de deux cousins célibataires qui partagent la même routine de vie, le même appartement et le même triste boulot dans une banque. Maniaques, transparents et sans histoires les deux cousins partagent une même angoisse de l'insécurité qui les poussent à actionner un peu trop souvent l'alarme de la banque. Leur patron décide donc de contraindre les deux cousins à partir se reposer pour le week-end afin de décompresser un peu, sur la route ils croisent une auto stoppeuse bien trop jolie pour ne pas faire demi tour et la faire monter dans leur voiture quitte à devoir retourner sur Paris.


Ce premier film de Charles Nemes co-écrit avec Gerard Jugnot est une comédie douce amère qui ne propose pas vraiment d'intrigue mais une chronique tendre, drôle et désabusé de deux types ordinaires et moyens dont la routine va être un peu bousculée par une jeune femme trouvée sur le bord de la route. Pierre et Jean- Bernard ne sont pas un duo de comédie antagoniste à la Weber , ils sont trop semblables pour que l'humour naisse de leurs différents, ils sont comme un vieux couple complice et englué dans un quotidien terne et routinier. Le premier acte introduit donc les personnages, leurs petites habitudes et leur boulot. Puis le film s'oriente presque vers le road movie et la petite grande aventure lorsque les deux cousins planifient un week-end en Belgique et partent sur les routes le coffre rempli de trompe l'ennui. C'est là qu'ils croisent une jolie auto-stoppeuse qui tend le pouce de l'autre côté de la route et qu'ils décident de la faire monter sur la banquette arrière quitte à forcer un peu le destin et devoir retourner à Paris avant même d'avoir entrevu la Belgique. A la fois défi personnel et acte manqué nos deux aventuriers taillés pour l'aventure du bout de la rue trouvent ici une belle occasion de retrouver le confort capitonné de leur petit train train d'hommes sans envergeures en abandonnant leur idée de voyage. Le dernier acte qui est sans doute le plus touchant verra nos deux cousins ramener la fameuse auto-stoppeuse dans leur petit appartement ce qui va bousculer leurs habitudes, engendrer quelques tensions et rivalités et surtout apporter un peu de vie, de sentiments, d'amour et de joie dans la vie de Jean-Bernard et Pierre. Inutile d'aller jusqu'en Belgique, la parenthèse enchantée du voyage vers de nouveaux horizons se fera sans quitter Paris. Le film avance ainsi entre humour, romance et mélancolie jusqu'à sont final étonnamment amère et sans appel.


Non Les héros n'ont pas Froid aux Oreilles n'est pas une grosse comédie même si les occasions de sourire sont nombreuses notamment grâce aux apparitions des membres du Splendid comme Thierry Lhermitte en petit voleur opportuniste, Clavier et Chazel qui abandonnent leur grand mère au bord de la route ou Michel Blanc perdu dans ses explications d'itinéraires. On retrouve aussi dans des petits rôles Gerard Lanvin, Christophe Malavoy, Josiane Balasko , Jacques Legras, Henry Guybet, Roland Giraud, Bruno Moynot ou Martin Lamotte. Le duo Auteuil/Jugnot fonctionne parfaitement sur un registre de douce complicité parfois taquine et d'amicale rivalité lorsque la jeune femme fait éruption dans leur quotidien. La jeune femme en question c'est Karine interprétée par la bien trop rare Anne Jousset qui avait pourtant tout le charme, le talent et le charisme pour faire une jolie carrière ; à la fois drôle, mystérieuse, sexy, touchante et perdue le personnage de Karine va agir comme un véritable révélateur auprès des deux cousins. Toutes les scène dans l'appartement de ce curieux remue ménage à trois sont d'une grande douceur et d'une belle tendresse même lorsque les deux cousins deviennent rivaux comme deux coqs convoitant la même poule.


Mais Les Héros n'ont pas Froid aux Oreilles n'est pas non plus une joyeuse comédie romantique et lorsque les deux cousins découvriront que Karine est une jeune fugueuse recherchée par ses parents, ils iront la livrer sans trop d'hésitations comme pour se débarrasser de ce petit caillou dans leur chaussure. Car la jeune et jolie fille pas trop farouche va surtout révéler chez les deux hommes une douce et maladive incapacité à vivre autrement que dans les clous et les balises d'une triste vie rangée. Lorsque Jean-Bernard et Pierre se débarrassent de Karine ce n'est pas tant pour la bonne morale de l'histoire que pour retrouver leur triste vie d'avant, pour ne plus être bousculer dans leur sinistre quotidien et s'éviter de devoir trancher sur qui sera le compagnon de Karine puisque par conservatisme intellectuel les deux ne semblent même pas envisager la possibilité d'un ménage à trois. Handicapés sentimentaux à l'incapacité chronique au bonheur, petits et tristes figurants d'une vie qu'ils refusent de voir s'embraser nos deux cousins finiront par expulser la vie de leur appartement et s'acheter un lave vaisselle pour un final à la mordante et désespérante mélancolie


Le film de Charles Nemes reste globalement des plus classique dans sa mise en scène mais le réalisateur se permet tout de même une courte récréation dans laquelle il fond un fusible en nous offrant une sorte de vidéoclip rempli d'effets de mise en scène gratuits (effets de miroir, split screen à gogo) pour un moment de free style assez surréaliste.


Les Héros n'ont pas Froid aux Oreilles est un joli petit film pour lequel j'ai eu un vrai coup de cœur, j'ai eu la sensation de voir l'univers libertaire d'un Bertrand Blier qui tentait de s'introduire dans le quotidien morne de deux français moyen qui refusaient de lui ouvrir la porte. Pas de place pour la liberté, l'amour et la folie quand on n'aspire qu'au confort cotonneux et étouffant d'une vie bien rangée sur le bas côté des chemins de traverse du bonheur.

freddyK
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le 25 mai 2021

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