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Aude-Léa Rapin réalise avec Les héros ne meurent jamais un film en apparence casse-gueule, qui s’avère être une œuvre avec du sens, sur des gens qui marchent, qui cherchent, qui se cherchent. C’est au corps à corps qu’elle est allée filmer cette histoire de fantôme à la J’irai dormir chez vous . C’est souvent percutant bien qu’en apparence anecdotique. Avec un casting impeccable servi par un trio superbe : Adèle Haenel, Jonathan Couzinié, Antonia Buresi. Les héros ne meurent jamais est un puissant vivier d’images, de corps en action, de chemins qui se tracent à l’écran presque simultanément aux vies qu’ils simulent…


J’irai renaître chez vous


L’idée originelle est d’une grande beauté : un homme qui va bientôt mourir, semble-t-il, se persuade qu’il a été réincarné. Il est filmé par une réalisatrice, qui est aussi une amie proche, et qui le suit jusqu’en Bosnie-Herzégovine, pays qu’elle connaît bien. D’emblée, on le voit face caméra raconter à un personnage dont on ne voit pour l’instant pas le visage, comment un homme l’a « reconnu » dans la rue. Il lui a expliqué qu’il était mort en août 83, que c’était un criminel et ne lui a donné qu’un prénom : Zoran, pour se raccrocher à une vague histoire de réincarnation. Joachim est né en août 83, précisément le jour où Zoran est censé être mort. Si le dispositif est aussi simple que casse-gueule, il s’avère surtout d’une grande vivacité. Ce qui en ressort, c’est une impression extrême de naïveté, de rentre-dedans aussi. A la manière de l’émission J’irai dormir chez vous (qui s’est d’ailleurs offert le luxe d’un film), le trio (quatuor en vérité, mais on ne verra jamais le caméraman) se jette sur les inconnus, les interroge, les heurte et finit surtout par les rencontrer vraiment. Tout un contexte les entoure, celui d’une guerre qui a duré cinq ans, de fantômes réels ou imaginaires qui peuplent les mémoires. Mais nos protagonistes ont peu de temps pour y penser, exceptée Alice, puisqu’ils sont tout entiers dans la quête du « passé » de Joachim, ou plutôt de ses vies antérieures. Il est parfois question d’y croire ou non, mais le film avance comme s’il se découvrait lui-même au fur et à mesure. L’important c’est donc d’avancer, de faire le film, de créer « in medias res », sans poser, presque sans réfléchir.


« Réparer les vivants, enterrer les morts »…


Si un mantra se dessinait dans Les héros ne meurent jamais, c’est qu’il n’est pas question ici de « réparer les vivants », ni « d’enterrer les morts », mais de tous les mêler, de tenter de faire vivre ensemble tous ceux qui se sont un jour croisés ou aimés et qui n’ont pas eu le temps de tout se dire, de se découvrir. Il est tout de même question de panser les plaies, de faire une place pour les morts dans les cimetières également, même au milieu de nulle part sans fleurs ni bougie. Car plus que de réincarnation, Les héros ne meurent jamais parle d’incarnation. Les corps des acteurs sont bien là, ancrés, percutants. Alice ne s’en laisse pas compter ; son interprète, Adèle Haenel, magnétise comme souvent la caméra. Quant à Joachim alias Jonathan Couzinié, il percute lui aussi l’image de son corps filiforme toujours penché dans l’action, dans le désir de voir, de comprendre, d’être un peu Zoran. Il est à l’image du héros de La vie pure, dont le corps était également au centre, aussi exalté que peu à peu meurtri. La vie pure suivait le parcours d’un explorateur solitaire. C’est un peu ce que devient Joachim, il devient également autre.


I am immortal


Le film oscille sans cesse entre une sorte de réalité brute, quasi documentaire, son ancrage de fiction et des rencontres fortes. Parfois, c’est franchement cocasse à la « Je suis ton père », d’autres fois c’est plus émouvant, plus tendre et surtout plus sensoriel. La question se pose alors de la manière de filmer les gens. Alice est une réalisatrice ancrée dans les paysages qu’elle filme, elle ne paraît jamais à côté de la plaque, à la différence des amis qui l’accompagnent. Elle retrouve d’ailleurs au cours du film une connaissance qu’elle a filmée auparavant et qui lui pose des défis tels que venir la voir sans sa caméra, l’aimer vraiment. Et l’enjeu est là aussi : que raconter, que dire, que filmer ? Comment se regarder les uns les autres ? Comment faire des images, que deviennent-elles et qui sont ces corps qui se déploient à l’écran… ? Au-delà de la question des vivants et des morts, Aude-Léa Rapin pose ces questions cruciales et y répond en partie : le cinéma n’est jamais plus vivant que quand il est au plus près des corps qui agissent, qui tremblent, mais qui semblent tout de même tracer un chemin, même incertain. Pourvu qu’ils soient encore debout demain matin pour continuer à observer, à filmer. On pense très souvent, tout au long du film, à un autre héros (sachant qu’on ne dira jamais quel sens donner à ce mot tout au long du film), explorateur lui aussi, torturé par ses images, hanté même (c’est là tout le sujet du film). Ce créateur d’images avait écrit à l’arrière de sa voiture « I am immortal ». L’avenir l’a un peu détrompé mais qu’importe, c’est l’image qui compte. Il s’agit du reporter de guerre Paul Marchand auquel Sympathie pour le diable avait rendu un vibrant hommage, lui aussi cabossé, très récemment au cinéma. La boucle est bouclée : le cinéma (français) est bel et bien vivant !

eloch

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