Je n'ai pas lu le livre et juge donc un scénario adapté qui, à mon sens, se doit d'être aussi indépendant et libre de s'écarter de l'oeuvre originale qu'il le peut pour créer un objet à part entière, cohérent et en adéquation avec son médium.


Graphisme et couleurs magnifiques, pudiques, tout à fait en accord avec le ton du film, et dont la beauté sait rester en retrait et ne pas commettre l'erreur de rendre l'oeuvre incongruement esthétisante.


Scénario qui commence très hard (lapidation d'une femme), peine à accrocher à force de sauter de personnage en personnage sans arriver à en approfondir un seul, enfonce quelques portes ouvertes, traine dans des valeurs conventionnelles, et termine en apothéose de bon sentiment ultra prévisible.

Le film met un temps infini à vraiment démarrer, (incident déclencheur vers la moitié, au moins), et la fin s'anticipe à gros sabots quelques minutes plus tard. C'est dommage.


Je n'approfondirai qu'un point qui m'a paru cruellement défaillant : le soi-disant féminisme du film.
Si le film a bien l'intention très claire de décrire la condition féminine peu enviable à Kaboul, c'est pour mieux se vautrer dans l'idéalisation obscène du sacrifice féminin total pour la cause de l'homme.
Attention SPOIL :
Dès qu'on voit les deux femmes face à face, on comprend aussi sec qu'un échange va avoir lieu, la burqa est l'aubaine scénaristique inespérée ! Mais alors pour rendre acceptable un tel sacrifice, il a fallut nous tartiner de bonnes raisons au préalable : une femme malade, vieillissante, même plus capable de tenir son logis (vous vous rendez compte !), ni d'accueillir son mari avec des bons petits plats, car il est bien question de ça : elle n'a plus le gout de vivre car elle n'est plus capable de contenter son mari. On est tous bien d'accord : une telle femme n'a plus d'utilité, on peut donc bien la jeter au trou sans se sentir trop coupable, surtout si c'est pour sauver une femme correspondant en tout aux standards esthétiques vallorisés : jeune, mince, pâles, sexy...
Je crois que mon vrai sursaut d'horreur dans le film a été le premier face à face entre le geolier et sa prisonnière. On peut lire dans ses yeux "Merde, un canon... Je peux pas la laisser mourir... Les autres on s'en fout, mais celle-là, non. Elle est trop bonne." Et qu'on n'aille pas me faire croire à un sursaut humaniste. C'est dire avec une franchise culottée ce qu'on attend d'une femme ici bas.
Bref, les scénaristes auraient pu y aller franchement : Atiq voit l'occasion idéale de remplacer son fardeau de bonne femme par une toute neuve et organise l'échange. Mais non, ce serait être trop sévère envers les hommes quis'en prennent déjà une bonne couche. Alors ressortons le beau poncif qui a déjà bien fait ses preuves : l'idéalisation béate du sacrifice total de la femme par amour. Si elle ne vaut plus rien au lit, il faut qu'elle soit mère et donne sa vie pour son petit. Si c'est fait discrètement, c'est encore mieux.
Mais nom d'un chien (pardon, je m'emporte), si cet homme a véritablement envie de sauver un être innocent (et pas de se la taper), qu'il l'enfile, lui, la burqa !! En animation, il est aisé de maquiller des chevilles poilues (quoique le port de la burqa soulage peut-être les femmes de la tyrannie de l'épilation ??), mais non, traverstir un homme et le faire mourir à la place d'une femme, c'est trop demander.
Le plus ironique est qu'Atiq finit par réaliser la prédiction de son ami qui, dans une scène assez caricaturale, lui conseille de répudier sa vieille femme pour en prendre une plus fraiche. C'es d'autant plus commode si elle se porte elle-même volontaire et le soulage du même coup d'une éventuelle culpabilité encombrante. Si celle-ci n'avait pas eu le mauvais gout d'exprimer au dernier moment son amour, tout aurait marché sur des roulettes. Décidément, les femmes devraient toujours se taire !

pouletroti
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le 30 sept. 2019

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pouletroti

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