Män kan inte våldtas, film réalisé par Jörn Donner est basé sur le roman du même nom, publié en Finlande en 1975. Il raconte l'histoire d'une bibliothécaire, Eva Randers, qui à la suite d'une banale soirée où elle fêtait son anniversaire en compagnie de sa meilleure amie subit un viol de la part d'un inconnu, dans son appartement. Après lui avoir proposé une danse, un verre de brandy, puis un café chez lui, Martin Wester, ne supportant pas l'idée qu'elle se refuse à lui la força à avoir un rapport non consenti, réclamant ce qu'il considérait comme un dû.


L'originalité de ce long-métrage, difficilement trouvable au demeurant (je remercie par ailleurs Ramya de me l'avoir fait connaître) est de proposer une version du « rape and revenge » sous une perspective entièrement féministe. Choquée, désemparée, Eva se redresse assez difficilement en se décidant d’abord à tout connaître de son agresseur : ses loisirs, ses fréquentations féminines et masculines, son lieu de travail. De là en ressurgit l’effroyable normalité du bonhomme, face à l’acte violent, et malheureusement banal que Eva a subi. A la marque indélébile que Martin lui a laissé, Eva lui impose sa présence, incontournable. Classique le jour, au travail, elle hante peu à peu la vie de Martin en le suivant partout, maquillée, affublée d’une perruque brune, créant un harcèlement qui prend d’autant plus d’ampleur qu’il ne peut y rien faire. Petit à petit, Martin finit par perdre son calme légendaire, celui qui faisait de lui un si bon joueur de bowling, un homme à l’apparence charmante, agréable et flegmatique.


Personne n’est présent pour sauver, ou pour aider Eva dans les souvenirs qu’elle affronte. Une paranoïa sourde s’installe en elle, composée autour de bruits amplifiés, et d’hommes avatars qui au moindre regard apparaissent effrayants, tels de potentiels prédateurs. Elle s’enfonce peu à peu dans la solitude, refusant de révéler ce qui lui est arrivé ; ni à sa meilleure amie, atteinte d’un cancer, ni à son ancien amant, un avocat pour qui gagner un procès est plus important que la justice en elle-même. Elle polit sa vengeance, réfléchissant à quelle attitude adopter : si, comme le dit son amant, les hommes ne peuvent pas être violés, si, les mots sont plus puissants contre eux que les actes, que doit-elle faire ? Doit-elle le tuer ?


Jörn Donner laisse volontairement planer le doute sur le choix effectué par Eva, qui vient clore le thriller. Le spectateur ne peut que conjecturer sur ce qui s’est passé. Les plans de la scène, cruciale, qui vient achever la tension alors à son paroxysme effacent le visage de Martin, absent. Car il ne s’agissait pas seulement de son affaire, ni même plus de lui. La loi Finlandaise ne reconnaissait pas le viol sur un homme. Pourtant, Eva tenait à se présenter aux autorités pour manifester son accomplissement : que cela soit valable ou non, comme le montre le début et la fin du film, qui se passe dans un commissariat pendant un dépôt de plainte, Eva a bel et bien violé un homme. Cependant, nous ne saurons jamais comment, ni ce que cela recouvre avec exactitude.


Män kan inte våldtas tourne entièrement autour des rapports construits entre les hommes et les femmes. Si l’histoire est centrée sur Eva et Martin, le quotidien de Eva montre à quel point le traitement de la femme est asymétrique, et ce dans tous les domaines. Sa meilleure amie, atteinte d’un cancer, s’inquiète plus de ce que son mari pourrait penser de son apparence suite à l’ablation de son sein, que de sa maladie, lourde de conséquences. Le travail à la bibliothèque est moins bien rémunéré pour Eva et ses collègues féminines que pour les hommes, qui dans l’organisation d’une activité sportive mixte sont embêtés parce que la « faiblesse » de la force des femmes les limite drastiquement. De façon globale, l’intention de Donner est presque trop visible, évidente. Elle n’a rien d’inexact, pas de note fausse, mais même si les historiettes secondaires et satellites sont intéressantes, leur assemblage avec la quête de Eva est un peu rouillé, surchargeant de beaucoup le tout.


Pour autant, dans son traitement assez unique du « rape and revenge », laissant une place plus large à la psychologie qu’au voyeurisme éhonté, Män kan inte våldtas vaut bien le détour.

-Ether
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Films vus en 2015

Créée

le 25 nov. 2015

Critique lue 488 fois

7 j'aime

2 commentaires

-Ether

Écrit par

Critique lue 488 fois

7
2

Du même critique

La La Land
-Ether
5

Le marketing de la nostalgie

Le passé est une mode inébranlable. Combien de biopics, de regards sur des temps révolues, de modification de l’Histoire, de « c’était mieux avant » ? Des séries en ont fait leur fond de commerce...

le 2 févr. 2017

68 j'aime

11

The Lobster
-Ether
8

Sans couple, point de salut

Il y a quelque chose de rassurant dans le constat qui est fait qu'en 2015, on peut toujours produire et réaliser des films au scénario original, voir que le public y adhère et que des acteurs connus...

le 13 oct. 2015

68 j'aime

9

Tutoriel
-Ether
10

Tutoriel pour exporter vos données Sens Critique et les mettre ailleurs

J'ai eu du mal à trouver les informations à propos desquelles je rédige un tutoriel rapide, autant les partager au plus grand nombre. En espérant aider quiconque entamant la même démarche que la...

le 13 août 2020

58 j'aime

24