Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen réalisent une superbe ode à l’amitié masculine dans les montagnes du Val d’Aoste, superbement photographiées. Contemplatif et bouleversant.
Pietro est un garçon de la ville, Bruno est le dernier enfant à vivre dans un village oublié du Val d’Aoste. Ils se lient d’amitié dans ce coin caché des Alpes qui leur tient lieu de royaume. La vie les éloigne sans pouvoir les séparer complètement. Alors que Bruno reste fidèle à sa montagne, Pietro parcourt le monde. Cette traversée leur fera connaître l’amour et la perte, leurs origines et leurs destinées, mais surtout une amitié à la vie à la mort.
Sujet ultra-rabâché au cinéma (récemment, ‘Les Banshees d’Inisherin’), l’amitié est encore le sujet d’un très beau film. J’aime personnellement beaucoup les films d’amitiés. Car au cinéma, l’amitié est synonyme d’insouciance, d’idéalisme. C’est une sorte de bulle de fine épaisseur qui s’éclatera au contact de l’abrupte réalité. Un exemple canonique pour prouver mon point : ‘Le Cercle des poètes disparus’ de Peter Weir, film que j’aime beaucoup et dans lequel l’amitié pure entre de jeunes garçons se heurtait au violent suicide de l’un d’eux. C’est un peu la même chose ici. L’amitié entre ces deux hommes semble indestructible quand ils sont en montagne. Une montagne comme gardienne, une sorte d’enveloppe protectrice qui empêche la réalité, la violence du monde réel de les atteindre.
Ce film suit l’amitié et la trajectoire de ces deux hommes de leur rencontre alors qu’ils étaient enfants jusqu’à la fin (je n’en dis pas plus). Le film rappelle à quel point l’amitié peut être inégalitaire. Il y a toujours l’une des parties qui a plus besoin de l’autre. Ainsi alors qu’ils sont enfants, lorsque Bruno s’en va du jour au lendemain travailler avec son père, Pietro est dévasté. Ils se croiseront brièvement adolescent, mais un fossé s’est creusé. Quand on est enfant ou adolescent, le moindre fait compte et prend des dimensions disproportionnées. Ce n’est qu’adultes après avoir mûris que leur amitié reprendra et qu’ils ne se quitteront jamais, enfin jamais vraiment.
Au Masque et la Plume, le film fut diversement apprécié. Si Sophie Avon et Pierre Murat furent émus par le film, le respectable critique Michel Ciment reprocha aux réalisateurs d’éviter tout conflit entre les deux personnages. Ça n’est pas tout à fait exact, selon moi. Simplement, les conflits sont intérieurs ou intériorisés. Il est appréciable que le film ne soit pas une succession de crises ouvertes et de gueulantes. Le film fait davantage dans la suggestion, plutôt que dans la frontalité. Ces deux amis évoluent à des rythmes différents. Quand l’un semble avoir trouvé sa voie, l’autre se cherche encore. Quand l’un se marie avec une amie commune, l’autre se sent seul. Et quand l’autre se trouve, la vie du premier explose. Ils ne semblent jamais être au même stade au même moment.
Les belges Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen ont choisi de tourner ce film en Italie et en italien. Il est vrai que ce film à quelque chose de très italien cinématographiquement. On sait que le cinéma italien a toujours aimé filmer la vie, le temps qui s’écoule : ‘Nous nous sommes tant aimés’ d’Ettore Scola hier, ou ‘Nos plus belles années’ de Gabriele Muccino plus récemment. Dans ‘Les huit montagnes’, on sent les années passer, le temps s’écouler et les personnes évoluer.
Les comédiens enfants jouent merveilleusement l’insouciance dans la première partie. Dans la deuxième partie, les deux acteurs adultes apportent à la fois de la complexité à leur personnages mais gardent un aspect très juvénile pour mieux souligner le décalage de ces deux hommes avec le monde extérieur.
‘Les huit montagnes’ pourra laisser certains spectateurs sur le carreau car il est très contemplatif. Il ne se passe pas grand-chose, il faut bien l’avouer. Mais l’action n’est pas tellement importante. En revanche, la photographie est absolument somptueuse, magnifique. Les montagnes sont superbement filmée. Le chef opérateur Ruben Impens a su rendre les montagnes belles, majesteuses. Les panoramiques sont suffocant de beauté. Les nuages semblent avoir de la consistance. La nature est joliment verdoyante. Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen magnifient la nature et savent lui rendre sa grandeur.