On pourrait gloser à l'infini sur le titre de ce film d'Anne Fontaine datant de 2016. Plus particulièrement, sur le sens qu'on peut donner au mot "innocent".

Mais d'abord le contexte de l'histoire. Le scénario met en scène une jeune femme médecin de la Croix-Rouge française vers 1945 dont la mission est de récupérer et soigner des rescapés français des nombreux camps nazis en Pologne. Elle est mise en contact puis porte assistance à un monastère bénédictin, perdu dans la campagne et voisin du cantonnement, qui a subi diverses horreurs et outrages de la part de soldats soviétiques conduisant à un grand nombre de grossesses (sans oublier la syphilis …) dans la communauté des nonnes.

Cela doit bien faire trois fois que je revois ce film depuis sa sortie en 2016 avec toujours ce même sentiment immarcescible de fascination et de révolte.

Fascination pour un monde cloitré que je ne comprends pas, dont les clés d'entrée me paraissent introuvables, dont l'utilité me semble si vaine. Je peux, avec quelques efforts toutefois, trouver de l'utilité voire même comprendre ceux ou celles qui prennent le voile mais agissent, soignent ou se rendent utiles ici ou là. Mais le sens de ces ordres contemplatifs ou très stricts m'échappera toujours. La Règle qui s'y impose et qui semble fonctionner dans un rapport d'asservissement total me fascine comme me fascine tout fanatisme religieux. La fascination peut même prendre, chez moi, des couleurs contradictoires de dégoût et d'empathie.

Révolte pour ces faits de guerre totalement abjects et inadmissibles qui ne sont qu'une des faces cachées et admises de la guerre en général. La récompense, le viol, le tribut, l'impunité, la razzia, la lâcheté.

Révolte pour ces gens (ici, ces femmes) englués dans une foi, une règle effroyable au point d'en perdre tout libre arbitre. La pénitence, la faute, le péché, la punition, le sacrifice, la miséricorde, le dégoût de la chair, la honte. La lumière (divine mais sans chaleur), le (pauvre) refuge dans le chant (très beau).

J'ai beaucoup aimé les deux ou trois films que j'ai déjà vus de cette cinéaste, Anne Fontaine, dont je sens une belle profondeur dans l'utilisation de sa caméra. Ici, sa mise en scène est d'une grande sobriété pour aborder cette histoire insolite et bouleversante, pour pénétrer avec beaucoup de pudeur ce milieu étrange, ce couvent de bénédictines qui cache tant d'horreurs. Ce monde de femmes qui se sont exclues du monde. Oserais-je dire, qu'on a exclu du monde.

La caméra effleure les petits minois des nonnes sans s'attarder mais suffisamment pour découvrir que ce monde-là n'est pas si monolithique. Et c'est l'aspect positif de ce film que de montrer que la nature profonde de certains de ces êtres humains n'est qu'enfouie et ne demande qu'à resurgir indépendamment des contraintes et obligations, telle la sève d'un arbre au sortir de l'hiver.

Lou de Laâge interprète le rôle de la femme médecin dont on sent, aussi, physiquement sa fascination pour ce monde incompréhensible pour elle mais qu'elle respecte infiniment et qu'elle va aider de toutes ses forces. Le ton de l'actrice est toujours juste. Son regard est si chaleureux, si chargé d'empathie ou de solidarité. Aucun pathos dans son personnage. Remarquable actrice.

Vincent Macaigne joue un second rôle masculin qui la joue en douceur et s'intègre parfaitement dans ce monde très féminin.

Et alors, me voici revenir sur le titre "les Innocentes" pour lequel j'ai relevé toutes les nuances du dictionnaire pour ce mot : des femmes qui ignorent le Mal ? des femmes pures ? des femmes candides ? des femmes qui ne sont pas coupables ? Ou des femmes naïves, des femmes crédules ou par extension, des femmes simples d'esprit ? Eh bien, je crois que je vais garder pour moi, mes propres réflexions…

Ce film est une intelligente et puissante réflexion sur la guerre, la religion, l'engagement, l'humanisme face à la foi aveugle.

C'est un film remarquable et beau.

JeanG55
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le 4 janv. 2024

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JeanG55

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