On désigne sous le terme de ‘refuzniks’ la communauté juive russe harcelée durant les années 70 par le régime soviétique sous l’autorité de Brejnev, faisant constamment obstruction à leur demande de visa et leur volonté de rejoindre l’État d’Israël. Afin de rompre leur isolement, la diaspora des pays démocratiques envoyait certains de ses membres les soutenir et leur donner des nouvelles de la terre rêvée et idéalisée sous couvert de voyages organisés. Les deux cousins Jérôme et Carole font partie de ces jeunes volontaires. Jouant les fiancés en vacances, ils faussent compagnie au groupe le soir venu pour rejoindre les appartements des Juifs en attente de visas et d’exils, Carole par engagement sincère, Jérôme par amour secret pour sa cousine.

Il faut mettre au crédit des Interdits, le premier long-métrage des monteurs Anne Weil et Philippe Kotlanski, une brillante quoiqu’appliquée reconstitution d’une époque, certes révolue, mais surtout à peu près inexistante dans le cinéma soviétique contemporain et officiel qui aurait vu du plus mauvais œil à dépeindre une telle misère et un tel délabrement. Les deux jeunes français, naïfs et crédules, découvrent le royaume de la peur et de la suspicion généralisées où le pire (arrestation, interrogatoire et déportation) peut sans cesse survenir. Le film fait circuler la parole, multiplie les points de vue et tourne ainsi le dos à tout manichéisme.

On déplore d’autant plus que la forte thématique de l’appartenance à une communauté, stigmatisée et donc solidaire, soit peu à peu reléguée au second plan pour permettre à l’histoire sentimentale de se déployer jusqu’à un épilogue situé dix ans plus tard, alors que le mur de Berlin tombe en offrant soudain de nouvelles perspectives, à la fois étiré et moins captivant que l’agitation fébrile qui régnait alors à Odessa. Dès lors, on s’interroge sur le champ des interdictions affichées en exergue : sont-ce celles d’une communauté empêchée et mise au ban ou celles d’un amour secret, en quelque sorte contre-nature et réprouvé comme tel ? En tout cas, on saisit mal l’intérêt à unir les deux dans un film qui sape idiotement ce qu’il avait plutôt bien érigé jusqu’alors, y compris grâce à un judicieux casting où se mêlent fougue juvénile et prudence peureuse, flamboyance et fatalisme de l’âme slave et cartésianisme occidental. La singularité du sujet et les réelles qualités de réalisation finissent hélas par s’affadir au fur et à mesure que le film se replie sur l’histoire intime de ses deux jeunes héros.
PatrickBraganti
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le 27 nov. 2013

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