Barbara réalise des films, elle en réalise un dans le milieu carcéral avec des détenus qui se livrent à elle, ces confidences servant à l’écriture de leur scénario, de leur projet à tous (faire du cinéma, faire entendre leur parole de prisonniers). Parmi eux, il y a Michel, sorte de vieux lion fatigué mais soudain ranimé par le désir qu’il a pour Barbara, pour cette femme à la crinière noire débarquée comme ça dans son univers de mecs et de combines. Barbara aussi se laisse faire, se laisse chavirer, et prête à aller loin, trop loin, pour cet homme qui la fascine.

Le "problème" du film de Brigitte Sy, c’est qu’à part leur histoire à eux deux, on se contrefout un peu du reste qui paraît accessoire, tellement futile par rapport à cet amour vibrant, incertain parce que soumis aux lois des prisons. Non pas que rien n’intéresse ou ne soit complètement détaché des intrigues (ex envahissant, tournage du film, trafic de stupéfiants), au contraire, tout se lie et se suit et se rythme plus ou moins parfaitement ; c’est juste qu’on veut voir Barbara et Michel sans arrêt, tout le temps, les voir se frôler, se manquer, se débattre avec la flamme et les interdits. En fait non, c’est plutôt contempler, se saouler à mort de Ronit Elkabetz et de Carlo Brandt que l’on veut absolument. Ils sont beaux tous les deux, puissants et sensuels, charismatiques comme c’est pas permis. Quand ils sont à l’écran, tout s’arrête, le film, le temps, la respiration, les histoires des autres.

Leur visage, leurs égarements, leur voix aussi (énergique et rocailleuse pour elle, calme et rauque pour lui), ensorcellent, obsèdent, tout de eux pique les yeux ; on voudrait presque que le film ne soit que ça, concentré uniquement sur ces deux-là, oublier ce qu’il y a autour, s’en tamponner, ne penser qu’à ces moments quand ils sont seuls ensemble, donnés à voir naturellement, superbes quand il lui caresse la cheville ou l’entoure par la taille. Ce récit (autobiographique jusqu’où ?) croisant la fiction et les vérités, le joué et le lu (les lettres, les textes), est aussi un joli portrait de femme libre et captive à la fois (de sa façon d’aimer, de son envie d’être, simplement). La prison n’est pas vraiment le sujet du film ni même un catalyseur d’ambiance(s) ou de véritables enjeux, c’est davantage la description d’une passion étouffée, d’un paroxysme qui aurait pu s’amorcer n’importe où (Barbara et Michel l’envisagent à un moment, se demandant s’ils se seraient remarqués et plus, assis dans un café), qui semble être le point nodal du film, en tout cas qui bouleverse le plus.

L’émotion est fluctuante : sèche, voire un peu terne, quand les détenus "racontent" et interprètent leur scénario, mais bouillante quand Barbara et Michel tentent un semblant d’intimité qui ne demande qu’à exulter (et le sera à la fin, de manière brève et légale). Le film est à cette image, alternant un chaud et froid des sentiments, des emprises, qui laisse à moitié conquis mais véritablement subjugué par un couple de cinéma comme on n’en avait pas vu depuis longtemps.
mymp
5
Écrit par

Créée

le 19 oct. 2012

Critique lue 289 fois

1 j'aime

mymp

Écrit par

Critique lue 289 fois

1

D'autres avis sur Les Mains libres

Les Mains libres
Caine78
6

Critique de Les Mains libres par Caine78

Elles sont étranges quand on y pense ces « Mains libres ». A vrai dire à aucun moment je ne me suis vraiment passionné pour ce couple improbable, peut-être à cause de la grande sécheresse d'une mise...

le 29 mars 2018

1 j'aime

Les Mains libres
ffred
8

Critique de Les Mains libres par ffred

Premier long métrage de la cinéaste Brigitte Sy Les mains libres est un film assez singulier. Il oscille sans arrêt entre documentaire et fiction. Le lieu, la prison, est propice à une ambiance...

le 9 avr. 2013

1 j'aime

Les Mains libres
mymp
5

Intimité

Barbara réalise des films, elle en réalise un dans le milieu carcéral avec des détenus qui se livrent à elle, ces confidences servant à l’écriture de leur scénario, de leur projet à tous (faire du...

Par

le 19 oct. 2012

1 j'aime

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

179 j'aime

3

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

164 j'aime

13

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25