Dans Les Mains qui tuent, Scott Henderson, accusé à tort du meurtre de son épouse, tente de prouver son innocence. Après avoir passé la soirée en compagnie d'une mystérieuse femme qu'il rencontre dans un bar, son alibi est mis en doute lorsque cette dernière disparaît sans laisser de traces. Pris dans une spirale de confusion, Henderson se heurte à des témoins défaillants et des circonstances nébuleuses. L'enquête menée par Carol, la secrétaire amoureuse de Scott, révèle un coupable inattendu : Jack Marlowe, le meilleur ami de Henderson.
Le film noir, genre défini rétrospectivement par la critique, se caractérise par une atmosphère de violence, de cynisme et de pessimisme, à la croisée des genres du film policier et du film de gangsters. Il n’est pas un genre historique en soi, mais une construction narrative et esthétique née de la conjonction de divers facteurs socio-historiques, en particulier la crise économique et les contraintes du cinéma hollywoodien de série B. Les Mains qui tuent, œuvre emblématique de ce genre, illustre ces caractéristiques à travers sa mise en scène, ses décors et ses personnages ambigus.
Le travail de Robert Siodmak, réalisateur d'origine allemande naturalisé américain, s'inscrit pleinement dans cette mouvance. À travers des cadrages serrés et une utilisation subtile du clair-obscur, Siodmak plonge le spectateur dans un univers oppressant où les ombres sont omniprésentes, jouant un rôle symbolique majeur. Les scènes de lumière, telles que celle où Carol rend visite à Scott en prison, sont saturées de significations : la lumière divine éclaire son visage, symbole de l'espoir qui reste, et révèle la transgression psychologique centrale du film. Ce motif récurrent de la lumière et de l'ombre sert à amplifer l'ambiguïté morale des personnages, comme le montre l'étranglement de Cliff, où la lumière met en évidence la figure menaçante de Marlowe.
Le film se distingue également par sa construction narrative complexe et ses ellipses. L’indiscernabilité visuelle est manifeste dans les jeux de lumière et d’ombre, où les contours des personnages sont souvent flous, ce qui contribue à une atmosphère d'incertitude. De même, l'indiscernabilité narrative, renforcée par les nombreux mystères non résolus et la disparition de témoins cruciaux, rend l'intrigue d'autant plus captivante. Ce jeu d’ambiguïté narrative se reflète également dans l’évolution des personnages, notamment celle de Marlowe. À la fois ami fidèle et assassin, il illustre parfaitement la transgression psychologique, où le bien et le mal se confondent, et où les certitudes morales sont constamment remises en question.
Le film noir, tel qu’il se manifeste dans Les Mains qui tuent, est une exploration de l’ambiguïté et de l’incertitude, tant dans sa forme visuelle que dans sa structure narrative. L’évolution du genre, des années 1940 à la période néo-noir des années 1990, témoigne de son pouvoir à déconstruire les stéréotypes et à offrir une réflexion subtile sur les travers de la société américaine. L’œuvre de Siodmak, par son atmosphère sombre et ses personnages troubles, incarne cette évolution du film noir, où l’indiscernabilité visuelle, narrative et morale s’entrelacent pour questionner l’humanité dans ses recoins les plus sombres.