"Les miens" ou l'apprentissage de la vulnérabilité silencieuse

J'ai adoré "Les miens". Mais d'abord :

On va commencer par ce que je n'ai pas aimé, ça va être rapide. La photographie, déjà. Vous voyez l'affiche ? Tout le film a la même tête. Des bleus, des verts, des flous, des couleurs douces (qui ne s'assument pas, disons-le), pour accentuer - lourdement - l'aspect "intime" et famille du film. On sait, Roschdy, ton film est dans l'émotion. Tu aurais pu nous épargner l'insulte de nous le rappeler à chaque minute.

Le casting, maintenant. Pour la majorité, les acteurs sont exceptionnels (on y reviendra plus tard). Seul bémol, les deux jeunes actrices. D'abord Nina Zem, qui malgré quelques moments de lumière se perd dans un phrasé très académique et robotique qui nous sort complètement du film. Anaïde Rozam, quant à elle, n'a pas été bien servi par le scénario qui, d'une part, ne lui laisse pas beaucoup de répliques, et d'autre part, la renvoie à son statut d'influenceuse, elle qui pourtant recèle de vraies qualités de jeu.

Tchao le négatif, passons maintenant à pourquoi il faut absolument aller voir "Les miens".

Tendre, subtil, bien écrit, bien réalisé, bien dirigé, le film est d'une finesse rare. L'histoire s'enchaîne et les plans se succèdent sans qu'on s'y attende. Rien n'est convenu, rien n'est de trop. Quelques légers dialogues maladroits mais dans l'ensemble, le scénario (co-écrit avec Maïwenn) est assez génial. On nous parle d'une famille qui se déchire, d'un amour qui se délite, d'un homme égoïste... Au fond, on nous parle de ce que c'est d'avoir des sentiments et de les partager, de la vulnérabilité que requiert la famille et la vie, en règle générale. Pour autant, le film de Roschdy Zem n'est pas tragique, et c'est ce qui est brillant. Il aurait pu tomber dans un misérabilisme désolant, mais loin s'en faut. Chez Roschdy, on se chambre et on rit des maladresses des uns et des autres, comme tant de manières de se dire "je t'aime". Autour de Sami Bouajila (magistral, par ailleurs), s'animent des acteurs inspirés et surtout très justes. Mention spéciale à Maïwenn, qui, comme d'habitude, est inoubliable.

"Les miens" appuie là où ça fait mal : comment on fait, quand même en famille, on ne sait pas se dire les choses ? L'accident de Moussa, qui lui fait perdre tout filtre, va révolutionner les manières de communiquer dans cette famille en apparence soudée et qui, comme toutes les autres, cache beaucoup de pudeur. Le film de Roschdy Zem est un film sur la parole, et il aurait pu s'appeler "Les mots", si une certain Sartre ne s'était emparé du titre avant. On s'interroge ici sur la place des mots, ceux qu'on dit, ceux qu'on pense, et surtout ceux qu'on ne dit pas. La famille est ce lieu bruyant où, finalement, les paroles comptent autant que le silence, qui, même lorsqu'on ne l'entend pas (big up à la scène finale qui m'aura bien fait pleuré), résonne très fort.

En regardant "Les miens", on sent remuer tout au fond toutes les paroles d'amour qu'on n'a pas dites, toutes les vérités qu'on a tues. Et on est contents, parce que même si ça fait un peu mal, ça fait surtout du bien.

Luciluce
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le 15 nov. 2022

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