Le film qui tord le cou aux films clichés pif paf pouf sur la banlieue

Le film est d'abord objectivement un bon film, bien rythmé, très bien joué, avec des personnages centraux qui sont bien développés, bien caractérisés les uns des autres. Les événements se suivent très rapidement, mais suivent un développement plutôt cohérent et logique. La bande son est très bien, les plans sont très beaux - c'est le minimum qu'on attend d'un film évidemment mais c'est déjà bien à relever.


Le film sort des standards des films de banlieue habituels, qui paraissaient de simples films à destination de la jeunesse, comme par exemple "Cité Rose" sorti en 2013, qui avait des personnages très très archétypés et une histoire très classique, ou même "Divines", qui m'a laissé un bon souvenir mais dont l'intrigue elle aussi était très basique.
Ici, le film se concentre non seulement sur une équipe d'agents de la BAC, mais représente surtout un tableau social, il nous montre le portrait d'une cité qui est située, décrite, avec son univers, et où tous les protagonistes, tous les acteurs en prennent pour leur grade : les caïds, les agents de la BAC dont certains sont clairement violents ou véreux, les gens du voyage, les barbus qui viennent emmerder les jeunes tout en venant jouer la police à la place de la police... Le film présente ainsi les problématiques propres à une cité précise, sans les caricaturer : concentration de la précarité dans un même endroit (on parle ici de la cité du Chêne Pointu, au quartier des Bosquets à Montfermeil, une cité non HLM mais constituée de plusieurs locations privées à loyer très très modéré, mais parfois très vétustes, où les populations les plus modestes se sont concentrées depuis 40 ans), violences entre bandes rivales, importance des réseaux criminels, bavures policières fréquentes par la BAC, alors que la police elle-même se sent excédée sur le terrain...


Bref, le film a un enjeu, à savoir une bavure policière, une interpellation qui tourne mal, mais pas de méchants définis. Rien ici n'est simpliste ou manichéen - à la différence par exemple de " Training Day " où l'enjeu du film repose essentiellement sur un antagoniste, le flic pourri et véreux joué par Denzel Washington.
Le film nous fait ressentir de l'empathie pour les agents de la BAC, même quand on les voit après leur méfait. La collaboration quotidienne avec les caïds locaux passe ainsi pour une nécessité devant la galère et la situation misérable dans laquelle se trouve le quartier, et la seule mise à disposition du LBD passe pour ce qu'elle est : dérisoire, même contre-productive, quand elle n'est pas simplement meurtrière. Les dialogues entre le nouveau venu et les anciens font mouche et révèlent l'état désastreux dans lequel ils se trouvent en même temps que le rapport dégradé qu'ils entretiennent avec la population locale.


Enfin, les deux plus belles fulgurances du film : le début, où c'est finalement le rassemblement de tous devant la victoire de la France qui marque une cohésion entre personnages et le seul moment apaisant et joyeux du film. Ou comment, finalement, c'est le sentiment d'être citoyen français à égalité avec les autres qui permet à tous de se réunir et qui permet de gommer - au moins temporairement - les inégalités sociales et de traitement. Une égalité qui manque cruellement dans certains territoires à l'abandon, donnant l'impression à certains qu'ils ne sont rien de plus que des "citoyens de seconde zone".
Et la fin qui marque, bien plus qu'une simple "révolte de banlieue", la révolte d'une jeunesse sacrifiée face au monde adulte qui a échoué à les protéger : une colère qui s'exprime alors face à la BAC, mais également face aux caïds de leur quartier. Une fin en apothéose, loin d'un happy end.

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le 15 sept. 2020

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