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En choisissant ce film de Guédiguian, j’étais somme toute assez perplexe. Pas forcément grand connaisseur du réalisateur, j’avais davantage eu l’occasion de l’entendre s’exprimer sur France Inter lors d’élections nationales que pris l’habitude d’aller voir ses films au cinéma.


Je le savais toutefois bon conteur et avais apprécié, sans m’être aventuré dans l’éloge, Gloria Mundi.


En lançant le visionnage, ma principale question était alors de savoir si la puissance de la fable qu’on s’apprêtait à me raconter survivrait à l'immanquable amas de bons sentiments.


De ce que j’en savais, Guédiguian est du genre boucher. Loin d’être un adepte de la subtile tiédeur, il fonce au volant d’un 25 tonnes, quitte à gêner, brusquer, heurter quelques murs. Son seul salut vient de l’émotion qu’il parvient, ou non, à transmettre et qui alors emporte avec elle toutes les maladresses.


C’est ici, encore une fois, le pari qu’il fait. Déconnecter le cérébral pour viser l’émotion pure.


Sans conteste, avec Les neiges du Kilimandjaro, le camion est parvenu à toucher sa cible, sans trop dévier, sans trop heurter. Et pourtant, il s’en est parfois fallu de peu.


Réalisé en 2011, il s’agit d’un conte puissant, plein d’entrain et d’enthousiasme. Il évoque de la plus belle des manières l’amour entre un Jean-Pierre Darroussin d’une authenticité délicieuse et une merveilleuse Ariane Ascaride, dont la douceur est en elle-même un gage de réussite.


C’est aussi une jolie fable sur l’amitié et la solidarité ouvrière, dont la beauté de l’illustration réside dans le sacrifice initial du personnage principal, truquant un tirage au sort pour se faire licencier aux côtés de ses camarades.


De l’amour et de l’amitié, sentiments pourtant maintes et maintes fois traités, Guédiguian parle avec une justesse précieuse et énormément de beauté, et ce alors même que ce n’est pas vraiment l’objet de son film. Certes, mais le trait est si pur, le tableau est si doux, qu’on le lui pardonne aisément.


Qu’importe que les frontières du bien et du mal soient si fréquemment brouillées dans un discours par moments paresseux. Dans le monde de Guédiguian, les voleurs sont des voleurs parce qu’ils sont pauvres. Il n’y a rien entre. Même pas ce petit soupçon de liberté humaine que l’humanisme a tant et tant de fois rappelé. S’il adapte - librement - en l’espèce le poème Les pauvres gens d’Hugo, il oublie qu’il est toujours possible de faire coexister libre-arbitre et déterminismes. Dans Les Neiges du Kilimandjaro, Guédigian préfère préfigurer le réel que l’analyser, le calquant sur ce en quoi il croit; peu importe les déformations qui en résultent. Tout ceci a le vilain défaut de rendre le récit instantanément prévisible.


Je m’agace puis je me dis qu’après tout n’est-ce pas le propre d’une fable que d’être grossière ? Et peu importe que dans “réalisme social”, il y ait réalisme, que personne n’ait d’accent dans ce Marseille qui nous paraît tellement étranger ou qu’un commissaire de police propose tout naturellement à une victime de se faire justice elle-même. Qu’importe tout ça ! L’essentiel est ailleurs, dans la centaine de minutes où l’on voit Jean-Pierre Darroussin douter, être lâche, douter à nouveau, puis faire preuve de courage. Un peu trop tard, car Ariane Ascaride, par amour et par conviction, compensent ses errances en tirant elle-même les conséquences des tergiversations de son époux. Il en résulte alors une sorte de morale chrétienne, du genre “vous vivrez mieux en pardonnant qu’en haïssant”.


Près de 15 ans après la sortie de ce film, la morale de la fable est toujours là, guidée par ce couple de quinquagénaires qui ne rêvait pas vraiment de voyage mais avait un besoin irrépressible de croire en l’humain.

Rabibloom
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le 3 mai 2025

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