Qu'elles soient bénies, les années 90.


Voilà, ça doit être de cet ordre de là, de la bénédiction.


Facilitons-nous la tâche en réduisant cette explosion de chef d'oeuvre dans cette courte période à une aura divine qui aurait frappé le cinéma du monde entier durant cette décennie.
Ouai, ça doit être ça.


Qu'on se le dise, on n'aura plus de Heat, plus de Fight Club, plus de Casino...
Et Scorsese justement ; 6 films, 6 chefs d’œuvres.
On en parle ?
Oui.
On en parle.
Et je vais même partir de ce postulat hasardeux et stupidement symbolique qu'est le chiffre 6 (qui semble béni, ou maudit si on le triple) pour réfléchir au film qui nous intéresse ; Cape Of Fear (parce que bien plus classe en anglais).
Le tout en 6 points.



  1. Patte


Tiens ? J'entends "film de commande" alors je répond "produit commercial vide de sens et de style".
Des baffes !
Que ceux qu'on entend dire " Ouai... c'est pas du Scorsese là, il est complètement happé par la machine hollywoodienne, c'était mieux avant" se taisent.
L'artiste est là.
On est bien chez Scorsese.
Pur et dur.
Travellings éprouvants, gros plans acrobatiques, gymnastique de caméra, y a pas à dire, Thelma Schoonmaker et ses montages halluciné n'avaient pas pris leurs RTT pour ce film.
Dynamique, abracadabrantesque, virevoltée, la caméra fait ce qu'elle veut, le tout dans la maîtrise absolue et habituelle du maître.
Mais en plus de devenir référence culte lui-même, le film emprunte ailleurs.



  1. Références


C'est peut être l'aspect très littéraire du film, presque philosophique et souvent religieux.
Toujours est il que nulle n'échappe aux références.
Surement l'oeuvre la plus référencée de Scorsese ; il part emprunter à Kubrick (les gros plans d'yeux en couleurs et négatifs), aux contes de Perrault (la brillante et horriblement troublante et longue scène au théâtre où le grand méchant loup piège le chaperon rouge), jusqu'aux mythe bibliques (la métaphorique crucifixion qu'est le tatouage explicite dans le dos de Max Cady, la symbolique d'immortalité que l'on devinerait par les sons à la toute fin du générique, un Nick Nolte désemparé et épuisé, sorte de Robinson esseulé et recroquevillé sur lui-même, comme un primate, lors des derniers plans...).
A ce qu'on a souvent pensé comme une vieille et kitsch série Z de mauvais goût, ou un thriller passabe, Scorsese ajoute une dimension une profondeur et livre à son film une intensité symbolique riche.



  1. Malsain


Mais à l'univers Scorcesien, le dit Scorsese immisce du malsain, une ambiance glauque et poisseuse qu'on ne lui connaît pas vraiment (quoiqu'elle fut déjà troublante dans After Hours). Et cela grâce, évidemment, au génial De Niro qui, dans une entêtante oscillation permanente entre idiote beaufitude et psychose génial et divinement habité, donne à son personnage une allure de démiurge taquin au pouvoir surhumain et à la quasi immortalité.
Mais aussi, et c'est peut être grâce à elle que le film se détache autant du reste de la filmographie de Scorsese, grâce à la délicieusement perverse Juliette Lewis qui, en se glissant dans la culotte d'une adolescente de 15 ans, livre une performance en écho avec celle de son loup, De Niro, oscillant elle aussi entre une naïveté confondue à la bêtise de son âge et un cynisme diaboliquement érotique, conscient de l'être (la scène, désagréable, où elle arbore un sourire jusqu'aux oreilles face à son père qui s'inquiète du baiser qu'elle a échangé avec celui qui la menace), plongeant le film en eaux troubles.



  1. Grotesque


Car oui, grotesque n'est pas qu'un adjectif péjoratif.
A la manière (mais toujours à sa sauce) de De Palma dans Scarface, Scorsese pousse l bouchon toujours trop loin, joue avec les rythmes contraires, navigue à contre courant en jouant de tous les codes volontairement ridicules (le plan hilarant d'un de Niro en bob et chemise hawaïenne, couché nonchalamment sur le mur de la propriété de Nick Nolte, tandis qu'explose derrière lui, de colorés feux d'artifices).
Peu être Scorsese a t-il voulu se venger d'une frustration de couleur, ou briser le rythme de sa précédente filmographie.
Toujours est il qu'on est scotchés face à ce spectacle visuel épuisant, feu d'artifice d'effets qui tout à coup s'estompent pour de longues scènes où la pression nous fait frôler l'arrêt cardiaque, jusqu'à ce final difficilement supportable, dont l'issue est inconnue jusqu'à la dernière seconde, poussant jusqu'au raisonnable les limites de la frustration et du sadisme (le tout dans la cabine étouffante d'un bateau à la dérive).
On peine à respirer dans ce film. C'est merveilleux.



  1. Claque.


Une claque. 20 minutes pour ne plus trembler et mieux respirer.
C'est le constat à la sortie, de mon état physique.
J'ai été secoué, malmené, violenté. On m'a poussé à bout, jusqu'à mes derniers retranchements.
Je me suis demandé jusqu’où Marty allait pouvoir aller, sans jamais arrêter sa progression dans le sadisme, le malsain et le wtf (sérieux ? De Niro qui s’accroche sous la voiture familiale ??).
20 minutes pour reprendre une dose suffisante d'air.
Autant en apnée que Cady à la fin.



  1. Exhbubérance


Car c'est surement le meilleur mot pour définir ce film.
On sait Scorsese et son goût pour la démesure, pour ces hommes et ces femmes qui en font trop (Aviator, Boardwalk Empire, Le Loup de Wall Street, Casino... la liste est longue).
Mais c'est je pense la seule fois que Scorsese décide d'appliquer cette exubérance de mode de vie de ses personnages à sa mise en scène.
En résulte ce film explosif, ce concentré d'éléments contraires, contradictoires, bordéliques mais assumés, qu'on a souvent décrié et pas assez apprécié à leur hauteur.
Tout ça, c'est volontaire.
Et volontairement génial.

Créée

le 21 oct. 2015

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Charles Dubois

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