"Les Nuits de Cabiria" est sans doute le moins baroque des films de Fellini vus jusqu'à présent : empreint d'un réalisme évident à travers la description des conditions d'existence de la protagoniste qui dort dans un taudis, on est bien loin de l'onirisme extrêmement travaillé de "La Dolce Vita" ou encore "Huit et demi". Dans ce cadre plutôt sec, d'une violence morale explicitée dès l'introduction avec Giulietta Masina qui se fait dépouiller par son amant avant d'être jetée à l'eau et manquer de se noyer, Fellini n'oublie pas pour autant de laisser le personnage de Cabiria respirer lors de séquences aériennes, presque irréelles, en développant une forme de poésie singulière.


Impossible d'y couper : ce qui fait tout l'intérêt d'un film comme "Les Nuits de Cabiria" est presque intégralement contenu dans la composition de Giulietta Masina, une prostituée romaine tour à tour naïve, impulsive, caractérielle, vigoureuse, et surtout dotée d'une capacité de résilience hors du commun. La cruauté à laquelle elle s'expose de manière systématique au contact du sexe masculin est manifeste : à la noyade évitée de justesse dans la séquence inaugurale succèdera un revers phénoménal dans l'appartement d'une célébrité (interprétée par Amedeo Nazzari), avant de passer sur la scène d'un tour de prestidigitation qui en fera la risée de l'auditoire et de rencontrer dans le dernier segment du film le personnage de François Périer. Le point commun de toutes ses rencontres : un élan d'espoir aussi vif qu'éphémère, brisé en mille morceaux par la cupidité des uns et l'absence d'empathie des autres.


Cabiria développe à cet effet une forme de foi inébranlable en des lendemains meilleurs, elle qui espère de tout son être que la chance tournera et qu'elle trouvera enfin un homme aimant et sincère. Cette partie-là de sa personnalité est illustrée de manière assez forte lors du pèlerinage, qui vire très vite à l'hystérie générale et aux désillusions violentes — qui ne durent qu'un temps pour Cabiria. Devant une statue de la vierge ou manipulée par un prestidigitateur, les miracles ne durent guère longtemps et ont tôt fait de se transformer en manipulations cyniques.


"Les Nuits de Cabiria" évolue ainsi au creux d'un récit dont la structure n'est ni claire ni habituelle, avec les composantes d'une satire sociale mêlées à une sorte de fable moderne à consonnance mélodramatique, totalement exempte de pathos et de misérabilisme — et ce en dépit du passif très chargée de la pauvre Cabiria, qui n'en finit pas de tomber et de se relever. La bienveillance du regard est un élément essentiel de ce rempart. Mais le récit, quoique foisonnant, ne sera jamais démesurément touffu, à l'instar des œuvres les plus réputées de Fellini. Une structure fragmentée qui sert habilement le portrait de la détresse humaine, de la malchance, et de la candeur. L'innocence sans cesse bafouée, sans cesse retrouvée.


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Morrinson
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le 28 déc. 2020

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