Le fait d’aimer le cinéma iranien depuis des décennies – pour nous, le gros coup de cœur de la découverte de Close-Up de Kiarostami en 1990 – ne nous empêche finalement pas de l’avoir catalogué plutôt dans un genre néoréaliste intellectuel, avec un penchant récent pour le polar social. Le point de départ quasiment fantastique des ombres persanes – un couple rencontre par hasard un autre couple qui est constitué par leurs « clones » – nous déroute finalement plus que si nous étions en train de regarder un film US ou français, et c’est certainement l’occasion de questionner nos propres préjugés.

Mais il est clair rapidement aussi que l’intention de Mani Haghighi n’était ni de réaliser un film fantastique, ni même une fable psychanalytique comme le fit Villeneuve avec son Enemy et un point de départ comparable. Non, les ombres persanes est un pur thriller psychologique, qui se permet en outre, derrière son suspense très habilement conduit, de nous offrir une vue en coupe de la famille iranienne, déréglée à sa manière et reflet du profond malaise de la société iranienne, déchirée entre modernité et islamisme réactionnaire. Le tout, il faut le préciser, sous une pluie diluvienne et incessante qui isole les protagonistes, déréalise leurs aventures, et nous rappelle en permanence que le dérèglement est planétaire…

Car entre les deux couples, une fois passée la phase de sidération qui suit la découverte de l’inexplicable aberration de leur double existence, un jeu complexe et dangereux va se développer, conduit par les deux partenaires souffrant le plus de la dégradation de leur couple, sous le regard – impuissant – des deux autres. C’est quand il s’engage pleinement sur ce terrain périlleux des mensonges et des manipulations que les ombres persanes devient totalement captivant, jusqu’à une conclusion logique mais terrible.

Questionnant intelligemment ce qui fait notre réelle singularité, notre identité dans un monde de plus en plus anonyme, et finalement notre humanité, les ombres persanes s’avère aussi divertissant – comme un vrai thriller doit l’être… même s’il contient aussi des éléments de « comédie romantique » – que profondément troublant. Il faut aussi souligner l’excellente interprétation de Navid Mohammadzadeh et surtout de Taraneh Alidoosti (déjà vue dans Leila et ses frères), chacun dans un double rôle, jouant des partitions légèrement différentes pour distinguer les personnages sans les caricaturer.

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2023/07/23/les-ombres-persanes-de-mani-haghighi-la-guerre-des-clones/

EricDebarnot
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le 27 juil. 2023

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Eric BBYoda

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